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Quelques mots, sur ces œuvres que nous découvrons depuis le Québec ou la France, sur notre écran d'ordinateur ou dans notre salle de cinéma favorite.

Uncut Gems, le bijou inestimable des inclassables frères Safdie pour Netflix

Synopsis : « Howard Ratner, un propriétaire de bijouterie au sein de Diamond District à New York, et revendeur à ses heures perdues, voit sa vie chamboulée lorsque sa marchandise est volée. »

Les lumières de la salle de cinéma s’allument, tu te repositionnes sur ton siège pour avoir fière allure parce que la position “je m’installe comme à la maison” ce n’est pas trop ça, et là, ton ami(e) se retourne vers toi et te pose la question fatidique…

Il y a des acteurs et actrices dont les noms ne nous évoquent rien. Il y a des acteurs et actrices dont, à la simple lecture sur une affiche, on a envie de voir s’ils vont réussir à nous surprendre et nous emporter une nouvelle fois. Il y a des acteurs et actrices dont la simple lecture du nom nous pousse à nous enrouler dans une couverture pour ne pas pleurer lorsque nous reviennent en tête des images de leurs dernières prestations. Adam Sandler est un cas à part. Business man de la comédie à part entière, le Dany Boon américain a une carrière aussi alambiquée et incompréhensible que son homologue français. Il n’est qu’un nom, un nom qui représente ce que la comédie fait de pire. De moins créative, ambitieuse, intelligente et drôle. Ce qui, pour une comédie, est un comble. Mais il attire. Son nom est reconnu et il attire les regards, même si l’on se doute à 89.9% que le long-métrage que l’on s’apprête à voir est une nouvelle comédie ringarde et désuète. On regarde tout de même parce qu’il est capable de nous surprendre dans bien des registres. On se souvient de Rien que pour vos cheveux, de Mi-temps au mitard, de Self Control, de Funny People, de Big Daddy, mais surtout de Punch-Drunk Love.

Quel film, quelle prestation dans un rôle profondément mélancolique pour lequel le cinéaste Paul Thomas Anderson se servait de la sympathie communicative de l’acteur américain pour développer cette mélancolie et dresser au fur et à mesure une réelle sympathie pour son personnage. Il aura fallu attendre dix-huit ans. Dix-huit années pour voir Adam Sandler prendre à nouveau des risques. Dix-huit années pour voir un duo de cinéaste émergeant offrir à l’acteur un rôle d’envergure loin des personnages de comédie potaches qui ont fait sa renommée actuelle. Deux ans après l’énervé Good Times, Ben et Joshua Safdie reprennent du service dans une nouvelle œuvre qui ne manque ni de mordant, ni d’audace. Loin des sentiers battus et des cinéastes qui s’enfargent à cause de productions dispendieuses pour des œuvres fondamentalement consensuelles, les frères Safdie prouvent que l’argent ne fait pas le bonheur. On parle d’un million de dollars. Énorme pour le jeune passionné de cinéma qui sort des bancs de l’école. Le début des recherches de financement pour celui ou celle qui cherche à développer son nouveau long-métrage de fiction. Ben et Joshua Safdie s’émancipent des problèmes financiers et se « contentent » d’un tel budget, prouvant qu’ils n’ont fondamentalement pas besoin de plus pour raconter leur histoire.

Uncut Gems nous raconte l’histoire d’un vendeur de bijoux de New York qui a besoin du grand frisson pour vivre la grande vie et demeurer celui qu’il est aux yeux des autres, quitte à se lancer dans une aventure qui pourrait bien le mener à sa perte. Si Good Times ressemblait à la note d’intention de deux cinéastes émergents qui avaient pour envie de livrer un cinéma crasseux, énervé, aux personnages troublés par le besoin de courir vers quelque chose afin de pouvoir s’estimer heureux, Uncut Gems est l’œuvre de cinéastes accomplis. Des cinéastes qui ont su se remettre en question sans pour autant dénigrer ce qu’ils ont pu faire auparavant. Bien au contraire. Si Good Times nous était apparu comme beaucoup trop énervé, à cause d’un trop-plein de mouvements, tant dans la réalisation que dans la mise en scène entachant la lisibilité de l’action, Joshua et Ben Safdie trouvent avec Uncut Gems une harmonie prodigieuse. Un cinéma toujours très terre-à-terre. Une envie de découper l’action pour créer, inculquer un rythme aux discussions – même lorsque les personnages sont côtes à côtes – en allant chercher le visage du personnage qui parle tout en ayant dans une portion du cadre, une amorce d’un autre personnage. Toujours avoir une amorce, toujours avoir un élément de décor ou un personnage qui va resserrer le cadre.

Oppresser le spectateur et les personnages eux-mêmes, tout en créant un sentiment d’urgence et de stress par ce cadrage opportun qui donne l’impression de la captation dans l’urgence d’un moment de vie. Un découpage et un cadrage très sec, très brut qui reflète l’envie de faire un cinéma peu conventionnel. Un cinéma au plus proche des personnages, au plus proche d’une réalité sociale qui, fondamentalement, n’a pas besoin d’insister sur des problèmes sociaux et politiques sans une once de subtilité pour réussir à développer un propos social de manière sous-jacente. Tout est dans la manière d’amener les choses. Dans la manière de mettre en scène avant de porter un regard critique, mais toujours avec bienveillance, sur un panel de personnages qui vont, de manière logique, devenir authentiques, attachants et touchants. Un protagoniste qui a tout pour être heureux, mais qui n’arrive pas à se satisfaire de la suffisance, alors qu’il a tout pour être heureux. Il lui faut plus, il lui faut ce grand frisson, il lui faut avancer sans réfléchir pour provoquer le destin. Quitte à se mettre ses proches à dos. Quitte à se mettre en danger. Quitte à tout risquer. Uncut Gems est une épopée incroyable. Une plongée sans retenue, d’une densité et d’une intensité à toute épreuve dont le sentiment d’urgence permanent provient directement de la densité d’une mise en scène jamais sur la retenue, ainsi que d’une répartie sans équivoque.

Si le script n’est pas d’une richesse verbale incroyable dans la qualité d’écriture de ses phrases, il l’est par la répartie naturelle dont font preuve les frères Safdie. Inculquer aux personnages un caractère par la rapidité avec laquelle ils vont se répondre, ne serait-ce que par un « Fuck » complété par une surenchère, une nouvelle idée de la part de l’un à l’autre. En découle l’intensité d’un film sportif, de réels moments de combats entre personnages charismatiques et caractériels qui ne veulent pas perdre la face. Combiné à une mise en scène qui ne cesse de se renouveler, ne se reposant jamais sur le découpage ou une interprétation pour inculquer du dynamisme et tenir en haleine le spectateur, les frères Safdie trouvent l’harmonie parfaite afin d’inculquer à leur film l’énergie dont fait preuve le protagoniste de l’histoire. Un film à son image, un film sans temps mort, un film cohérent dans ses partis pris artistiques, un film qui trouve sa mélancolie touchante et attachante dans les imperfections énervantes de son personnage principal. Uncut Gems, une œuvre authentique, aussi dense que brute et dont la maîtrise ne peut que tenir en haleine.

« Thriller sous pression à la mise en scène d’une intensité incroyable et à la répartie hallucinante qui coupe le souffle 2h15 durant. »


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