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Quelques mots, sur ces œuvres que nous découvrons depuis le Québec ou la France, sur notre écran d'ordinateur ou dans notre salle de cinéma favorite.

Queen & Slim, road movie moderne portrait d’une Amérique laissée pour compte

Synopsis : « Lors d’un ordinaire rendez-vous amoureux en Ohio, un homme noir et une femme noire, sont arrêtés pour une infraction mineure de circulation. La situation dégénère, entraînant des conséquences soudaines et tragiques quand l’homme tue un policier pour se défendre. Terrifiés et leurs vies désormais en danger, l’homme, un employé de magasin, et la femme, avocate de la défense criminelle, se voient obligés de fuir. Mais l’incident a été filmé et la vidéo se propage. Le couple devient alors involontairement un symbole de traumatisme, terreur, deuil et douleur pour les américains.
Alors qu’ils conduisent, ces deux improbables fugitifs vont apprendre à se connaître l’un l’autre mais aussi se découvrir eux-mêmes dans des circonstances des plus extrêmes et désespérées. Ils vont forger un amour sincère et puissant qui va révéler leur profonde humanité et façonner le reste de leurs vies. »

Les lumières de la salle de cinéma s’allument, tu te repositionnes sur ton siège pour avoir fière allure parce que la position “je m’installe comme à la maison” ce n’est pas trop ça, et là, ton ami(e) se retourne vers toi et te pose la question fatidique…

À l’image d’un Joseph Kahn, après avoir longuement fait ses gammes dans le monde du clip, Melina Matsoukas passe à un nouveau stade dans sa carrière en réalisant un premier long-métrage de fiction. Elle est devenue la réalisatrice personnelle de Beyoncé, elle a signé des clips pour Rihanna, Lady Gaga, Alicia Keys, Whitney Houston, Eve, Jennifer Lopez ou encore Kylie Minogue. Difficile de dire qu’elle ne s’est pas fait un nom, qu’elle n’a pas su démontrer l’étendue de son talent pour être reconnue auprès des noms les plus connus. Les plus grands ont débuté par le monde du clip ou le monde de la publicité. Ces mondes à part, où paradoxalement et à l’inverse du cinéma, où plus les entreprises qui vous embauchent ont d’argent, plus la liberté créative sera grande pour le réalisateur. Sans même voir Queen & Slim, on peut deviner allègrement pourquoi et comment le script écrit par Lena Waithe et James Fray a pu arriver à son bureau avant de lui plaire. Il y a une parfaite résonance entre les derniers clips signés pour Beyoncé, ainsi que le propos principal de ce Queen & Slim. Un film sur la tolérance, un film qui prend parti, mais surtout un film qui dénonce et ne se voile pas la face.

Échapper à son quotidien, échapper à la routine, à l’obscurantisme, à la société et/ou à quelqu’un. Le road movie est un genre que je jugerai comme à part dans le monde impitoyable du cinéma. S’il peut être parfois raté pour diverses raisons, le road movie a la faculté de pouvoir toucher et marquer le spectateur plus facilement qu’un drame lambda. Il va lui falloir tenir un propos et des personnages principaux, reposer sur un concept fort pour faire comprendre aux spectateurs qu’il n’est pas là pour rien. Mais il a pour se reposer par la suite, le concept même du road movie, à savoir : le voyage. Aller de paysage en paysage et de rencontre en rencontre. Faire voyager le spectateur. Lui faire rencontrer des personnages secondaires qui vont avoir peu de temps à l’écran, mais mémorables par le biais de leur allure, de leur diction, de leur histoire et/ou vocabulaire. De réelles gueules de cinéma. C’est ce qui dernièrement nous a fait grandement aimé Light of my Life, réalisé par Casey Affleck. Un film à concept, qui porte ce même concept à bout de bras tout en développant au spectateur un univers par les paysages et décors balayés par la nature, ainsi que par la découverte inopinée de personnages secondaires. En parfaite connaissance du genre auquel ils s’attaquent, Melina Matsoukas, Lena Waithe et James Fray ne choisissent pas le road movie par hasard afin de mettre en scène l’histoire d’un couple noir qui se doit de fuir suite à une bavure.

Genre profondément ancré sur le thème de la fuite vers l’avant, il n’est pas pour autant un film où les personnages ne font que fuir. Queen & Slim a la force de ne pas être qu’un simple film où les personnages n’ont en tête que la volonté de fuir et de ne pas se retourner. Un scénario à la structure narrative aussi classique qu’efficace pour un road movie (dès l’élément déclencheur arrivé s’enchaînent une à une les nouvelles rencontres et situations), mais bien mené, car enrichissant la portée de son message rencontre après rencontre et porté par des personnages dont la caractérisation va évoluer au fur et à mesure de l’avancée de leur fuite. Une fuite vers l’avant, une fuite vers le combat au nom des problèmes raciaux qui subsistent et persistent dans leur/notre société. La transformation radicale de personnes au démarrage introverties va s’appliquer à la dramaturgie du récit et transformer ce qui n’était qu’un simple road movie, un réel plaidoyer contre les violences raciales, l’usage abusif de la force par les forces de l’ordre, ainsi que l’omniprésence des médias et la course à la nouvelle qui se transforme rapidement en course à la désinformation. Un film de ce fait ancré dans la dénonciation des problèmes qui ronge la société américaine d’hier et surtout d’aujourd’hui.

Un propos qui a une belle portée grâce à ses personnages principaux et notamment Slim incarné par le talentueux Daniel Kaluuya. Un personnage masculin plus touchant, car moins rigide et plus évocateur sur le plan émotionnel. Le jeu de Daniel Kaluuya, acteur qui fait transparaître chaque once d’émotion par son regard, développe d’une force incommensurable ce qui aurait pu être un petit personnage transcendé par l’amour et la colère. Un développement émotionnel somme toute classique et logique, qui ici, prend une tout autre dimension grâce à son jeu. Rendant malheureusement le personnage féminin, Queen interprété par Jodie Turner-Smith, beaucoup plus fade et rigide. Moins émotionnel, atteignable et par déduction, moins touchante et attachante aux yeux du spectateur. Un jeu bien moins convaincant et trop effacé pour créer une forme d’affection, donnant cette fâcheuse impression de se traîner un boulet affectif tout au long de l’aventure alors qu’elle semble être bien plus que ça. Un casting principal mitigé, à l’image des personnages secondaires. Si certains laissent de marbre, d’autres réussissent en une fraction de seconde à atteindre le spectateur tout en ayant une portée symbolique extrêmement forte. Notamment un certain Junior, interprété par le jeune Jahi Di’Allo Winston, dont l’utilisation représente à elle seule le propos du film alors qu’il est présent à l’image qu’une petite poignée de minutes. Il est ce pour quoi ils se battent, cet exemple et ce pour quoi nous devons nous battre. Un personnage marquant et important pour le film alors que secondaire, pour ne pas dire tertiaire.

Queen & Slim est un road movie initiatique qui dresse au fil des rencontres et des situations un portrait de cette Amérique patriarcale que l’on aime autant qu’on la déteste. Un film qui s’approprie les codes du road movie afin de dresser un portrait sans mystification de la société américaine d’ajourd’hui. Même si parsemé de belles fulgurances de mise en scène, il n’a néanmoins pas cette étincelle créative qui aurait pu faire de lui le « nouveau Bonnie & Clide« . Que ce soit sur le plan formel ou technique, le film se repose bien trop sur ce qui a déjà été fait et sur ce format aujourd’hui éculé du road movie qui met en exergue la fuite vers l’avant. Dommage de ne pas avoir essayer d’en faire quelque chose de neuf, d’aller sur ce plan là également vers l’avant et non, simplement regarder en arrière. Il lui manque ce quelque chose, cette fougue créative, ce cri du coeur terrassant pour le spectateur. Il demeure fonctionnel et bien réalisé. Les quelques fulgurances déjà citées (que ce soit dans les rencontres ou simplement quelques moments de vie), permettent au film de gagner en impact émotionnel vis-à-vis d’un spectateur qui ne se lasse pas durant le visionnage, même s’il a tendance à voir bien à l’avance là où le film veut l’emmener. Un film qui demeure éminemment prévisible, et ce, sans parler de cette fin téléphonée et extrêmement mal justifiée pour paraître crédible et cohérente à nos yeux. Le message reste pertinent et la route belle à parcourir en compagnie de ces héros des temps modernes, symbole d’une jeunesse meurtrie qui se doit de se relever et d’affronter ses démons.

« Road movie initiatique qui dresse au fil des rencontres et des situations un portrait de cette Amérique patriarcale que l’on aime autant qu’on la déteste. »


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