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Quelques mots, sur ces œuvres que nous découvrons depuis le Québec ou la France, sur notre écran d'ordinateur ou dans notre salle de cinéma favorite.

Miss, le sacre de la différence


Synopsis : « Alex, petit garçon de 9 ans navigue joyeusement entre les genres. Il a un rêve : être un jour élu Miss France. 15 ans plus tard, Alex a perdu ses parents et sa confiance en lui et stagne dans une vie monotone. Une rencontre imprévue va réveiller ce rêve oublié. Alex décide alors de concourir à Miss France en cachant son identité de garçon. Beauté, excellence, camaraderie… Au gré des étapes d’un concours sans merci, aidé par une famille de cœur haute en couleurs, Alex va partir à la conquête du titre, de sa féminité et surtout, de lui-même… »


Les lumières de la salle de cinéma s’allument, tu te repositionnes sur ton siège pour avoir fière allure parce que la position “je m’installe comme à la maison” ce n’est pas trop ça, et là, ton ami(e) se retourne vers toi et te pose la question fatidique…

Ruben Alves a attendu sept ans pour réaliser son second film. Sept longues années pendant lesquelles il a emmené La Cage dorée (son premier long) faire le tour du monde. Sept années pendant lesquelles il s’est posé pour réaliser un documentaire sur le fado. Sept années pendant lesquelles il a a soufflé un peu et réfléchi à la suite… à savoir un film sur l’ambivalence, sur cette société qui veut absolument vous mettre dans des cases… et la rencontre avec Alexandre Wetter, mannequin androgyne, devient l’évidence.

En débarquant à Paris, le jeune homme mise sur sa féminité et le mélange des genres pour mener sa carrière comme bon lui semble. Même si on lui demande de jouer sur sa virilité, Alexandre Wetter réussit à passer certains castings hostiles, pour miser sur sa singularité. Défilés, publicités, clips, séries télé et la chance de défiler pour Jean-Paul Gaultier… et aujourd’hui le cinéma avec Miss.

L’univers des Miss France est né des rencontres du duo Alves-Wetter. Ils ont abordé ensemble les thèmes autour de l’ambivalence en poussant le curseur à son maximum : comment un garçon en France peut-il affirmer sa féminité aux yeux du plus grand nombre ? Le jeune mannequin évoque l’idée pour un homme de devenir la Marianne… et Ruben Alves propose Miss France. Pari lancé : le réalisateur va faire d’Alexandre une Miss !

Le sujet a de quoi être casse-gueule, alors pour éviter toute caricature ou moquerie que l’histoire pourrait soulever, le réalisateur fait graviter autour Alexandre, un univers incroyable. Tout d’abord une famille de substitution car ses parents sont morts. Des liens du cœur plus forts que ceux du sang car les parents d’Alexandre sont morts. Des parents aimants et prêts à tout pour leur fils. Cette famille décomposée sera son soutien indispensable pour lui permettre de vivre son rêve d’enfant: devenir une Miss.

Yolande (jouée par Isabelle Nanty) est la cheffe de cette famille loufoque. Force indispensable, elle soude tous les membres entre eux, même si elle n’hésite pas à moquer le concours Miss France, évoquant tous les poncifs actuels que l’on peut reprocher à ce type de concours. Alex peut aussi compter sur ses deux frères azimutés (Hedi Bouchenafa et Moussa Mansaly). Il y a aussi Elias, l’ami d’enfance interprété par Quentin Faure. Il est ce champion de boxe prêt à l’encadrer pour lui fournir ce moral d’acier et tenir jusqu’au bout. Enfin, il y a l’excellence de Lola, ce vieux travesti auquel Thibault de Montalembert prête ses traits. Impressionnant de tendresse, d’humour et de don de soi car il croit plus que tout au rêve d’Alex.

Dès lors, avec ce portrait de cette famille dépareillée qui entoure le personnage principal, comment ne pas se poser la question de la facilité et de la caricature ? Simplement par l’humanité et la vérité portées par chaque membre du casting créé par Ruben Alves. Le monde dépeint sous nos yeux, le réalisateur le connaît très bien et le côtoie depuis longtemps. Jamais il ne sombre dans la caricature et on suit le parcours désormais d’Alexandre appelé Alexandra avec joie, stress et émotion. Il va concourir et tenter d’accomplir son rêve ultime.

Tout y passe : la présélection, la victoire d’Alex pour être parmi les Miss qui seront présentées au public, l’entraînement et le concours final sous la houlette de Sylvie Tellier (ancienne Miss France et directrice générale du concours) et de Vaimalama Chaves, Miss France 2019. Dans le rôle de la présidente du comité, Pascale Arbillot impose une droiture aidée par la tenue qu’elle porte le plus souvent : la cape digne de Dark Vador ou encore de la présidente Alma Coin (le personnage joué par Julianne Moore dans la saga Hunger Games) confie-t-elle en interview. Elle lui permet d’asseoir la sévérité nécessaire au personnage. Pourtant, elle ne sombre jamais dans la caricature… et prouve de nouveau qu’elle devient ce second rôle indispensable au cinéma français (en trois mois, elle a alterné avec plaisir entre le rôle de la mère de famille esseulée, paumée et délirante dans J’irai où tu iras, l’ex-femme inquiète dans Le Meilleur reste à venir et aujourd’hui la présidente des Miss).

La deuxième partie du film se déroulant dans l’univers des Miss, il y a quelques passages obligés comme la concurrente peste et infâme mais avec un cœur gros comme ça (géniale Stéfi Celma) ou encore l’envie de tout envoyer en l’air… pourtant à chaque fois, ces éléments de l’intrigue ne créent de lassitude chez le spectateur car le scénario ramène toujours au centre des personnages, les thématiques de l’ambivalence et du mélange des genres sans jamais donner de leçons. Miss interroge surtout la question de la féminité et la façon dont chacun peut accepter cette part que l’on porte en soi dans une société qui divise plutôt qu’elle ne réunit. Pour répondre à cette question, une scène fantasmagorique traversée par une Amanda Lear telle une déesse de la vérité, viendra étayer ce propos : quoique fasse une femme, elle ne sera jamais vue pour ce qu’elle est, à savoir l’égal de l’homme.

Si par moments, Miss peut créer des passerelles avec le film de Lukas Dhondt, Girl, par les difficultés liées à l’entraînement d’Alexandre, il n’est jamais question de transition. Le héros veut devenir une Miss dans son corps d’homme. Miss ne raconte pas le parcours d’un personnage transgenre, mais l’histoire d’un jeune homme voulant embrasser sa féminité et sa masculinité pour vivre ses rêves jusqu’au bout. Le réalisateur explique aussi que dans tous les films pour lesquels le public pourra voir des références, on ne retrouve ni la dureté, ni la souffrance vécues par le personnage principal comme dans Girl ou Boys don’t cry. Si Alexandre souffre c’est parce qu’il cherche sa place, doit s’entraîner plus dur que les autres (la préparation physique des acteurs est à souligner : Thibault de Montalembert confie en interview qu’il marchait chez lui avec ses talons pour conserver son personnage de vieux travesti).

Sans jamais sombrer dans un pathos vulgaire et outrancier, Miss est un film qui respire le bonheur de vivre. L’histoire oscille sans cesse entre rires et larmes sans jamais lasser, ni peser sur le public… épaulée pour cela par une bande son parfaite entre tubes musicaux ou chansons françaises à texte pour permettre au spectateur de comprendre les moments de découragement d’Alex. Enfin le final est à la hauteur du reste du scénario. Une justesse de ton dans son traitement et une logique imparable telle que l’histoire ne pouvait se terminer autrement. Tout en étant une comédie, Miss de Ruben Alves reprend aussi les thématiques de son premier film, La Cage dorée : la recherche des origines, de la place que l’on prend dans une famille. Jamais le réalisateur ne choisit la facilité ou ne sombre dans la caricature notamment parce qu’il se sert de ce concours codifié et genré des Miss pour permettre à Alexandre de vivre son rêve jusqu’au bout : devenir quelqu’un !


« Miss ne raconte pas le parcours d’un personnage transgenre, mais l’histoire d’un jeune homme voulant embrasser sa féminité et sa masculinité pour vivre ses rêves jusqu’au bout. »


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