Synopsis : “Manifesto rassemble aussi bien les manifestes futuriste, dadaïste et situationniste que les pensées d’artistes, d’architectes, de danseurs et de cinéastes tels que Sol LeWitt, Yvonne Rainer ou Jim Jarmusch. A travers 13 personnages dont une enseignante d’école primaire, une présentatrice de journal télévisé, une ouvrière, un clochard… Cate Blanchett scande ces manifestes composites pour mettre à l’épreuve le sens de ces textes historiques dans notre monde contemporain.”
Les lumières de la salle de cinéma s’allument, tu te repositionnes sur ton siège pour avoir fière allure parce que la position “je m’installe comme à la maison” ce n’est pas trop ça, et là, ton ami(e) se retourne vers toi et te pose la question fatidique…
Après sa présentation en 2017 au musée des Beaux-arts de Paris sous la forme d’une installation vidéo, Manifesto de l’artiste allemand Julian Rosefeldt nous arrive enfin sous la forme d’un long-métrage destiné à la projection dans le cadre du format de la salle de cinéma. Un film-concept dans lequel l’actrice Cate Blanchett endosse, aussi bien dans son jeu physique que verbal, 13 identités. Des visages, des figures types de notre société, qu’il s’agisse d’une présentatrice d’un journal télévisé, d’une institutrice d’école ou encore d’un Sans Domicile Fixe. À travers ses différents personnages, l’actrice récite face caméra des manifestes qui figurent parmi les pensées théoriques les plus connues du XXe siècle sur la conception de l’Art. Les auteurs cités à travers ces déclarations vont des futuristes aux dadaïstes, en passant par des manifestes d’artistes conceptuels du Pop’art des années 60 tels que Stan Brakhage ou encore des cinéastes-théoriciens tels que Jim Jarmusch, Werner Herzog ou Lars Von Trier et Thomas Vinterberg via leur concept du mouvement « Dogma 95 ».
« Manifesto n’en demeure pas moins une œuvre expérimentale intéressante dans sa forme ou dans son propos »
Manifesto assemble dans un long-métrage d’environ 1h40 tout un panthéon de pensées intellectuelles qui invitent le spectateur à repenser l’Art dans son concept. Outre la performance démente de son actrice et la dimension à la fois poétique et politique derrière cette « Œuvre d’art », que vaut Manifesto sous sa forme cinématographique ? Car il n’est pas inutile de rappeler que l’œuvre de Julian Rosefeldt est avant tout une installation vidéo, un concept « d’art vidéo » destiné à l’espace du musée où le spectateur vient à l’œuvre et interagit avec, notamment en se déplaçant dans un espace au milieu de 13 écrans sur lesquels sont projetés les performances de l’actrice. Manifesto et ses monologues prennent véritablement sens en tant qu’œuvre d’art complète lorsque les 13 visages de Cate Blanchett sont réunis dans un seul et même espace où se forme une véritable cohérence dans le propos de l’artiste qui cherche à définir et proclamer une nouvelle conception radicale de l’Art à travers plusieurs identités auxquelles l’actrice prête ses traits.
Manifesto pâtit avant tout de son changement de format, l’œuvre étant tout simplement incompatible avec le format de la salle de cinéma. Le montage linéaire propre au langage cinématographique métamorphose l’installation vidéo en une succession de monologues dont les connexions ne se font dans le dernier plan du film. Un split-screen où les 13 visages de l’actrice cohabitent dans un même espace, proclamant la même phrase de conclusion à ce pamphlet général, mais sous différentes variations. Un dernier plan où toute la dimension politique du manifeste de Julian Rosefeldt prend vie, laissant derrière lui un arrière-goût amer, propre au propos radical et terrifiant de l’œuvre sur le regard porté à la société contemporaine.
Pour autant, Manifesto n’en demeure pas moins une œuvre expérimentale intéressante dans sa forme ou dans son propos. Il y a derrière l’œuvre un acte d’artiste engagé, poétique, où les formes plastiques, filmées dans des espaces sous la forme de plans-séquences, se marient habilement avec la plaidoirie verbale de son interprète. Cate Blanchett livre une performance aux palettes de nuances subtiles pour chaque figure qu’elle endosse, malgré une impression de la performance pour la performance qui, encore une fois, prend plus de sens sous la forme d’un « Happening » que d’une performance cinématographique. Le format du long-métrage en salle n’est pas la meilleure manière pour découvrir Manifesto, le tout paraissant finalement assez vain, avec un véritable manque d’interaction entre l’œuvre et son spectateur qui risque de se sentir en retrait par rapport au concept de Julian Rosefeldt. Seuls les plus chanceux qui ont pu découvrir l’installation aux Beaux-arts de Paris, l’année dernière, percevront cette œuvre dans toutes ses nuances et sa complexité. Mais Manifesto risque de laisser, à la majorité des spectateurs qui le découvriront en salle, comme une impression de rendez-vous manqué.
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