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Quelques mots, sur ces œuvres que nous découvrons depuis le Québec ou la France, sur notre écran d'ordinateur ou dans notre salle de cinéma favorite.

Ma Vie avec John F. Donovan, autoportrait d’un réalisateur apaisé



Synopsis : « Dix ans après la mort d’une vedette de la télévision américaine, un jeune acteur se remémore la correspondance jadis entretenue avec cet homme, de même que l’impact que ces lettres ont eu sur leurs vies respectives. »


Les lumières de la salle de cinéma s’allument, tu te repositionnes sur ton siège pour avoir fière allure parce que la position “je m’installe comme à la maison” ce n’est pas trop ça, et là, ton ami(e) se retourne vers toi et te pose la question fatidique…

Un nouveau film de Xavier Dolan, c’est un peu comme un enfant qui attend son cadeau de Noël avec une impatience folle. Puis quand il le reçoit, il y a de la frénésie à déballer le cadeau, un peu de déception et une folie douce qui s’empare de nous. Ma Vie avec John F. Donovan ne déroge pas à cette règle. On ressent la difficulté des choix qu’a dû faire le réalisateur pour son septième film. D’ailleurs dans la première partie, on se demande pourquoi ces ralentis peu nécessaires ou ce repas en famille qui s’étire, n’auraient-ils pas pu être raccourcis pour nous amener directement à la relation étroite entre John et Rupert, entre l’acteur et son fan numéro 1.

Une nécessité sans doute car le repas de famille réveille l’histoire pour l’entraîner vers le télescopage des deux vies : celle de John et du jeune Rupert. Télescopage au travers de la présence de mères seules, fortes et pourtant abandonnées dont le chagrin se noie dans l’alcool pour l’une (formidable Susan Sarandon) et dans l’oubli pour l’autre (délicate Natalie Portman). Le thème de la mère et sa confrontation nécessaire est une récurrence dans l’oeuvre de Xavier Dolan depuis son premier film (Comment j’ai tué ma mère) en passant par Mommy bien entendu et surtout Juste la fin du monde.

On retrouve également l’univers des secrets autour de la vie privée sur lesquels se greffe l’impossibilité de vivre sa vie quand on est célèbre surtout à Hollywood. Là, se forme une première nouveauté chez Xavier Dolan : l’attaque en règle du système et du show-business où un acteur ne peut être pleinement ce qu’il est, ce qu’il aime, ce qu’il désire, sous peine d’être rejeté, de ne pas avoir les rôles qui boosteront la carrière. Et en filigrane s’observe le rôle des agents, quel est leur but ? Cherchent-ils autant la gloire, rejettent-ils leurs poulains dès qu’il y a un problème ou montrent-ils simplement que seule la sincérité compte dans une vie d’acteurs pour pouvoir les suivre et réellement les accompagner ?

Xavier Dolan brasse tous ces thèmes autour de la figure d’un acteur beau, séduisant et qui a tout pour devenir une star mondiale : John F. Donovan dont Kit Harrington, incroyable de nuance, de force, de faiblesse et de trouble, prête ses traits. Il est même par moment intéressant de se dire que sous le vernis de l’acteur qui contrôle son image, se révèle un acteur ambitieux et tourmenté dont le double n’est autre que Xavier Dolan lui-même. À cette nuance près que l’acteur-réalisateur canadien n’a jamais caché qui il était, qui il aimait, quel sexe l’attirait (car la relation homosexuelle que cache John F. Donovan sous-tend tout le film). Surtout, dans ce portrait du jeune Rupert, on retrouve l’image projetée de Xavier Dolan, ce jeune garçon fou, passionné, amoureux du cinéma qui écrivait à ses acteurs fétiches… espérant un retour, une réponse que reçoit ici Rupert. Une étrange correspondance s’installe alors entre le jeune homme et le jeune enfant pour arriver au moment d’impact où la découverte des lettres chez l’un entraînera la perte de tout repère pour l’autre mais aussi un début d’acceptation et qui sait de rédemption.

Ma vie avec John F. Donovan marque un tournant fort dans la carrière de l’acteur-monteur-costumier-réalisateur… Xavier Dolan est encore sur tous les fronts ! Un tournant parce que pour la première fois, il s’autorise des passages lumineux qui ne sont pas des rêves. Des ouvertures vers la lumière, espoirs d’une autre vie, d’un salut possible. La figure de Michael Gambon dans le restaurant à la fois divine et philosophique apporte la réponse que chercher John : sa place dans l’univers. Elle est celle qui lui a été assignée, il ne l’a volée à personne. Pour la première fois, on sent l’acteur apaisé : une quiétude qui court durant la deuxième partie du film et de l’histoire.

Si le départ peut freiner et bloquer (les plans troubles, le passé et le présent qui s’entremêlent), l’ouverture avec la chanson d’Adèle centre John auprès duquel on comprend que quelque chose cloche et ne tourne pas rond. Non ce n’est pas cliché que de proposer Rolling in the deep pour lancer l’histoire d’un homme blessé car il ne peut aimer ouvertement. Ensuite, les scènes se succèdent délicatement, avec leurs lots de crises même si le cinéaste abandonne la furie de Mommy ou des amours imaginaires pour proposer quelques éclats de voix nécessaires afin que John F. Donovan s’affirme comme le fera ensuite le jeune Rupert. Pour favoriser ces éclats, il faut des actrices incroyables : Susan Sarandon jubile, Natalie Portman porte blessures et failles avec une infinie souffrance rentrée mais que ressent son fils. Entre ces deux femmes, une autre toute puissante, l’agent de John campé par Kathy Bates avec sa prestance habituelle. Puis il y a Thandie Newton, la reporter qui permet l’identification du spectateur, un moyen de se raccrocher aux confidences que l’on va recueillir. Alors, au départ on rejette cette tête à claques qu’est Rupert adulte, pour finalement l’aimer et l’écouter. Une question se pose et taraudera le spectateur jusqu’à la fin : et si Xavier Dolan nous tendait le miroir de qui il est vraiment avec pour rêve ultime, l’envie d’être aimé et ne plus être perçu comme un sale gosse prétentieux. Ce sera alors Amara Khan, la professeure, qui apportera les ultimes réponses en permettant qu’une mère et son fils se retrouvent.

Surtout dans ce film, il y a trois acteurs impeccables. Jeune, Rupert est porté par la force de Jacob Tremblay. Son personnage peut au départ agacer mais son humanité force le respect. C’est cette humanité que porte ensuite Ben Schnetzer, interprétant Rupert adulte, confiant son histoire, les lettres et l’amour inconditionnel pour John, le centre de toutes les attentions. Pour l’interpréter, il fallait plus qu’un Jon Snow de Game of Thrones, il fallait un homme qui accepte ses failles et ses faiblesses : Kit Harrington. Il les porte à merveille, il se fond dans l’histoire écrite par Dolan et Jacob Tierney. Il devient cet acteur maudit, triste, joyeux, épanoui, heureux par moment, rageur, troublé, troublant.

La construction narrative permet de faire se croiser les deux histoires alors que les deux acteurs sont à des kilomètres de distance. Surtout, Xavier Dolan choisit un final en forme d’espoir. Le réalisateur envisagerait-il enfin de quitter la noirceur qui habite la conclusion de ses précédents films pour enfin se tourner vers la lumière ? Aurait-il envie que l’amour inonde sa filmographie malgré les contrariétés pourtant éprouvées par John F. Donovan ? Car c’est aussi ce qu’attend le spectateur : la fin d’une histoire torturée pour enfin un apaisement offert par l’épilogue de l’interview du Rupert adulte… même si la chanson de The Verve qui clôt le générique n’est autre que Bitter sweet symphony, une symphonie douce amère.

Encore une fois, on saluera la qualité de la partition composée par Gabriel Yared et des choix musicaux opérés par Xavier Dolan. La lumière et la photographie sont composées de grains sableux qui rendent à l’image de la pellicule, un petit côté suranné et désuet. Sans doute, le réalisateur souhaite-t-il offrir une certaine intemporalité à l’histoire. Pourquoi ? Parce qu’il livre beaucoup de lui-même dans ce scénario : son enfance, la difficulté d’être un enfant en quête de rôles et de gloire, l’amour d’une mère qui comprend plus vite que son fils, la vie amoureuse qu’il mènera. Une fois ce cadre posé pleinement pendant la première heure, alors l’histoire décolle. Pile au moment où Donovan s’abandonne dans la voiture, révèle au réveil les failles mais aussi l’amour qu’il ne peut vivre car il ne peut/veut s’en donner la possibilité par peur d’être broyé par le système. Le film prend une tournure différente où l’acteur entre dans nos vies pour nous demander de l’aimer et de le comprendre et d’oublier les rumeurs alors qu’il lui suffirait juste d’assumer qui il aime, qui il est pour que la vie change mais le succès le tolèrera-t-il ? Ma vie avec John F. Donovan n’est que ça : une quête d’amour absolu, une envie d’être aimé plus que tout.

A ce jour, c’est le film le plus abouti de Xavier Dolan débarrassé du français, de la volonté de l’affirmation de la différence qui passe par une acceptation de qui l’on est réellement. Une volonté réelle d’offrir l’amour que l’on reçoit de l’autre vers tous les autres comme envie d’inonder le tout. Xavier Dolan semble s’apaiser. Le réalisateur ouvre avec Ma Vie avec John F. Donovan un nouveau chapitre de sa vie de réalisateur où il se permet d’être heureux, enfin ! Reste le regret de ne pas découvrir Jessica Chastain qui aurait complété le casting féminin. Sans doute une version longue sera-t-elle en préparation, même si son personnage pourrait entraîner l’absence d’apaisement dans le parcours de John. Wait and see…


« Et si Xavier Dolan nous tendait le miroir de qui il est vraiment avec pour rêve ultime, l’envie d’être aimé et ne plus être perçu comme un sale gosse prétentieux. »


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