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Quelques mots, sur ces œuvres que nous découvrons depuis le Québec ou la France, sur notre écran d'ordinateur ou dans notre salle de cinéma favorite.

Luz, l’exercice de style qui renouvelle le film de possession ? [Fantasia 2018 Film REVIEW + INTERVIEW]

Synopsis : “Lors d’une nuit d’orage particulièrement violente, Luz, une chauffeuse de taxi visiblement mal en point, fait irruption dans une station de police presque déserte. Pendant ce temps, la mystérieuse Nora s’affaire à séduire un certain docteur Rossini au bar du coin. De verre en verre, et au fil d’une étrange et menaçante conversation, celle-ci dévoile son lien de longue date avec Luz. Et tandis que Rossini tombe sous le charme du personnage, il devient clair qu’il est déjà trop tard. Toujours à la station, Luz admet son secret à des officiers incrédules : un démon est à ses trousses. Il se dirige vers eux, et il est fort probable que personne ne voit l’aube… »

Pour la première année nous sommes trois semaines durant (du 12 juillet au 02 août 2018) au Fantasia International Film Festival. Films du film de tous les genres, mais surtout du fantastique, de l’action et des films complètement décalés que vous ne verrez surement jamais en salles !

Toutes nos Critiques depuis le Festival Fantasia !


Le genre horrifique, et on parlera plus précisément d’épouvante, a toujours fait partie intégrante du cinéma. Présent depuis la création du cinéma, notamment de par le prisme de Georges Méliès et de son film Le Manoir du Diable (en un sens beaucoup de ses films représentaient quelque chose d’effrayant en soi, sans pour autant chercher à faire peur pour autant). C’est par la suite évidemment le cinéma expressionniste allemand qui a pris la relève et offert au genre ses lettres de noblesse. Des films terrifiants et visuellement encore inégalés (inégalables de créativité très certainement) dont vous connaissez certainement les représentants : Le Cabinet du docteur Caligari (Robert Wiene, 1920) et Nosferatu le vampire (Friedrich Wilhelm Murnau, 1922). Deux chefs-d’œuvre du septième art qui ont fondé un art sur lequel d’autres sont venus par la suite ajouter leur pierre à l’édifice. Et parmi eux, celui que l’on ne nomme plus William Friedkin et son The Exorcism. Si The Exorcism est un film critiquable sur plusieurs aspects, il n’en demeure pas moins une œuvre aujourd’hui mythique, car elle aura su apporter un renouveau au moment opportun. Aujourd’hui le cinéma d’épouvante se meurt alors que le cinéma d’horreur quant à lui c’est enfermé deux décennies durant, dans un carcan consensuel et sans la moindre once de créativité, dont il peine encore a sortir. Néanmoins, on voit aujourd’hui de jeunes cinéastes cinéphiles, nés avec des films comme The Exorcism dans leurs berceaux. Biberonnés au cinéma d’épouvante de l’époque, ils ne cherchent qu’à créer et raconter au monde des histoires terrifiantes à l’aide des moyens créatifs et artistiques offerts par le cinéma. Si dernièrement ont a été surpris par Unfriended : Dark Web grâce à une belle compréhension du concept mis en place par le premier film, mais auquel il manquait un scénario qui marque, Unfriended : Dark Web n’en demeure pas moins un divertissement populaire. Un bon divertissement populaire, mais cherchant avant tout à divertir. Et il y a Luz.

Qui est Luz ? Que veut-elle ? Que lui veulent-elle ? Que lui veut-elle ?


Jeune cinéaste allemand, réalisateur et scénariste de deux courts-métrages (THE EVENTS AT MR. YAMAMOTO’S ALPINE RESIDENCE et El Fin Del Mundo) achevés en 2014 puis 2016, Tilman Singer dévoile méthodiquement et donc une nouvelle fois deux ans après son dernier projet, un nouveau film, un premier long-métrage. Le court-métrage est le meilleur moyen pour se faire la main, pour apprendre à se connaître et fonder autour de soi une équipe avec laquelle on pourra collaborer en toute sécurité à l’avenir. Dario Mendez Acosta à la production design, Paul Faltz à la photographie, Simon Waskow à la composition musicale et bien évidement Tilman Singer à l’écriture, au montage et à la réalisation. Les membres qui constituent cette fine équipe se connaissent et peuvent se permettre de travailler chacun de leur côté afin d’arriver en amont du tournage avec leurs idées respectives. Un travail d’équipe permettant d’avoir au final une œuvre qui soit réjouissante, mais également créative. Dans un monde où tout à semble-t-il déjà été fait (effectivement, il est aujourd’hui difficile de trouver L’Idée Novatrice), il est toujours intéressant de découvrir de nouveaux talents émergeant qui ont envie de créer.

Film de possession tel qu’il en existe déjà, Luz tire cependant son épingle du jeu, et ce, de plusieurs manières. Tout d’abord grâce à une identité visuelle singulière. Tourné en pellicule 16 mm avec des lentilles anamorphiques, Luz s’offre un style visuel rétro à la frontière entre l’hommage appuyé au cinéma d’époque et le film moderne. Si l’usage de la pellicule permet d’avoir un léger grain à l’image (permettant d’ancrer le film dans une époque qui n’est surement pas la nôtre), il permet surtout d’avoir une colorimétrie bien plus terne. Des couleurs plus délavées lors des séquences qui ont lieues dans la grande salle d’examen, en opposition avec l’impact flashant et chatoyant des couleurs artificielles que l’on a notamment dans la voiture ou quelque peu dans le bar avec ce bleu qui revient avec parcimonie.  Chaque décor dispose de sa propre colorimétrie forgeant sa propre identité. Par ailleurs, les lentilles anamorphiques apportent une sensation d’oppression (et pas d’écrasement) au niveau du cadre, tout en allongeant ce même cadre. Une horizontalité avec laquelle jouent le réalisateur et son directeur de la photographie. Les plans sont longs, les cadres symétriques et les mouvements souvent présents, mais très lents afin d’amplifier une sensation de malaise et de flottement omniprésent. Si le film avait été tourné en numérique, il n’aurait pas eu le même impact, il ne nous aurait pas fait pensé au cinéma de Lucio Fulci ou encore à celui de Rainer Werner Fassbinder.

Cinéaste de renom qui n’a foncièrement pas grand-chose à voir avec le cinéma d’épouvante, il est une comparaison intéressante avec le cinéma pratiqué par Tilman Singer. Un pur cinéma de mise en scène et hautement féministe. L’homme est ici une menace ou un lâche qui a peur de se défendre. Les femmes sont fortes, droites et n’ont pas peur d’affronter le démon représenté par l’homme qui se dresse droit devant eux et cherche à la posséder. Le démon passe de corps en corps, mais seule la femme (même si hypnotisée), semble pouvoir se dresser face à lui. La mise en scène va dans ce sens, dévoilant des femmes droites, qui n’ont pas froid aux yeux et caractérielles. Possédée ou non, c’est elles qui semblent toujours avec le contrôle sur les situations. S’il est visuellement beau, c’est par sa mise en scène que Luz impressionne. À l’instar de tout ce qui se fait au cinéma aujourd’hui, Luz est un film qui va jouer avec votre imaginaire. Usant l’hypnose dans son scénario, il va donc être grandement question d’imagination. Imaginer des lieux, imaginer des décors alors que ne subsistent dans la réalité diégétique que des éléments tels que des chaises. Faire de ce qui est invisible visible grâce à la mise en scène, au cadrage, ainsi qu’au sound design. Un sound design absolument superbe offrant au spectateur l’impression d’être dans le lieu imaginaire et implanté dans la conscience de la personne hypnotisée ou bien dans cette salle d’examen. Ce n’est pas toujours facile à suivre, restez éveillés et attentifs afin de savoir où l’action se situe réellement et qu’est-ce que cela raconte. Puisque oui, les évènements reconstitués par hypnose vont avoir une incidence sur l’histoire. Le but étant de savoir ce qu’il s’est passé quelques jours auparavant, reconstituer l’histoire et répondre aux questions : qui est Luz et quel corps est maintenant possédé par le démon ?


Plus d’informations sur la création du film par son réalisateur Tilman Singer que nous avons rencontré :

Préparation :

« J’ai lu des travaux écrits par et sur un gars qui s’appelle Milton Erickson. Il est en quelque sorte l’inventeur de l’hypnothérapie. En tout cas, l’hypnothérapie telle qu’on la connaît et qui est pratiquée, celle qui aide les gens, celle qui a une valeur thérapeutique. J’ai également lu quelques rapports de la police sur des cas et enquêtes, où était utilisée l’hypnothérapie. Tout un tas de livres et rapports qui pouvaient donc être utiles pour ce projet avec lequel je voulais inverser les rôles : Et si quelqu’un utilisait l’hypnose, mais pas pour aider les gens, mais pour obtenir des informations et faire du mal. »

Mise en scène pour les scènes d'hypnose :

« Non je pense pas que c’était difficile pour le casting d’avoir à imaginer par moments les décors ou les accessoires lors des séquences d’hypnose, car ce sont tous des acteur.rice.s qui viennent du théâtre. Ils font ça tout le temps et aiment beaucoup ça. Personnellement j’aime le théâtre moderne, celui où la scène est presque, voire complètement vide. Tout est abstrait, de la scène aux accessoires. Les acteur.rice.s font ça tout le temps et mon frère qui est également un acteur de théâtre me demandait : est-ce que ça marcherait de faire ça pour un film ? Prétendre être dans une voiture par exemple ? Et la réponse est oui, ça a marché pour nous ! »

Réalisation pour les scènes d'hypnose :

« Avec le directeur de la photographie, on a fait en sorte de filmer comme si les éléments étaient présents. Par exemple à un moment Luz est supposée être dans une voiture. Sont disposées cinq chaises, comme les sièges d’une voiture. Et je pense que les spectateurs ne le remarquent pas consciemment, mais on a filmé comme si c’était une vraie voiture et qu’on avait installé des plates-formes sur la voiture pour filmer comme on le ferait pour un tournage. Sur le devant, sur les côtés… Et même pour les plans larges, on faisait comme si on faisait de beaux plans de la voiture qui roule ou encore de Luz qui ouvre la porte, descend la fenêtre… alors qu’il n’y en a même pas ! Et je pense qu’on peut le ressentir. On a tout fait pour, notamment avec le mixage sonore. »


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