CinéCinéphile

Quelques mots, sur ces œuvres que nous découvrons depuis le Québec ou la France, sur notre écran d'ordinateur ou dans notre salle de cinéma favorite.

First Man, la musicalité cinématographique humaine par Damien Chazelle

Synopsis : « Pilote jugé « un peu distrait » par ses supérieurs en 1961, Neil Armstrong sera, le 21 juillet 1969, le premier homme à marcher sur la lune. Durant huit ans, il subit un entraînement de plus en plus difficile, assumant courageusement tous les risques d’un voyage vers l’inconnu total. Meurtri par des épreuves personnelles qui laissent des traces indélébiles, Armstrong tente d’être un mari aimant auprès d’une femme qui l’avait épousé en espérant une vie normale. »

Les lumières de la salle de cinéma s’allument, tu te repositionnes sur ton siège pour avoir fière allure parce que la position “je m’installe comme à la maison” ce n’est pas trop ça, et là, ton ami(e) se retourne vers toi et te pose la question fatidique…

C’est seulement âgé de 32 ans que Damien Chazelle devient en 2018 le plus jeune réalisateur récompensé par le prestigieux Oscars du Meilleur Réalisateur. 32 ans et déjà à sa filmographie des films qui ont marqué le cinéma tel que Whiplash et La La Land. Peut-on réellement parler de prodige ? Si certains diront que le jeune cinéaste est acclamé gratuitement ou encore, ne mériterait pas que l’on en parle autant dans les médias et sur les réseaux sociaux, il faut avant tout chercher à comprendre pourquoi il en est ainsi. Pourquoi Whiplash ou encore La La Land ont réussi à conquérir le cœur de millions de spectateurs à travers le monde. Une question dont la réponse ne s’arrête pas aux deux films précédemment cités, mais qui englobe également sa première réalisation nommée Guy and Madeline on a Park Bench, ainsi que celui qui nous intéresse plus particulièrement aujourd’hui, le bien nommé : First Man.

Prodige ? Nous n’emploierons pas ce terme, qui semble ici inadapté ou inapproprié. Damien Chazelle n’est pas magicien et n’a pas réalisé quelque chose de surnaturel. Bien au contraire, tout ce qu’a pu réaliser le jeune cinéaste jusqu’ici est bel et bien réel. Ce n’est pas le fruit du hasard ou un simple bon alignement des planètes en sa faveur, mais la simple évolution d’un étudiant passionné par ce média qu’est le cinéma. C’est à l’Université Harvard que tout a débuté pour Damien Chazelle. Il y a fait ses études en cinéma, mais plus important encore il y a rencontré celui qui deviendra son double musical : Justin Hurwitz. Un autre passionné de musique et plus particulièrement de jazz, mais également par les comédies musicales. Genre auquel ils rendront un superbe hommage en 2016 avec le film La La Land. Si l’on a autant parlé du film à sa sortie, c’était évidemment parce qu’il sortait des sentiers battus. Un peu de sang frais face aux films de studios conventionnels, tous fabriqués à partir d’un même moule factuel dont on se demande à chaque fois s’il est le produit des studios ou d’un auteur bridé. Un film qui renouvelle aucun genre, mais qui s’empare des codes mis en place par ce dernier au cours des années afin de le sublimer grâce aux connaissances du matériau cinématographique de son cinéma et directeur de la photographie. On remarquera que le directeur de la photographie Linus Sandgren ne fait qu’un avec son réalisateur. De La La Land à First Man existe un gouffre. Impossible de dire qu’il s’agit du même homme derrière le travail visuel. Les deux hommes s’abandonnent à l’histoire qu’is veulent compter et mettent leurs connaissances techniques du cinéma au service de l’histoire. Mais on y reviendra plus tard en détails.

Aujourd’hui le cinéma est représenté par des studios. De grandes firmes qui imposent des scriptes à des personnes qui aiment travailler dans ce milieu confortable si on a réussi à s’y faire une bonne place. Ces derniers ont du talent, un savoir-faire et sont épaulés par des techniciens d’expériences qui permettent la création d’oeuvre fondamentalement peu originale, mais fonctionnelle. Produire un cinéma qui fonctionne et offre aux spectateurs ce qu’ils veulent, ce qu’ils attendent. Le monde du cinéma (l’on parle ici du cinéma hollywoodien) est un monde impitoyable où rares sont les véritables auteurs qui imposent une vision cinématographique au travers de leurs œuvres. Si Christopher Nolan est un excellent cinéaste, à l’image d’un Xavier Dolan pour ne citer qu’eux, ils se répètent dans leurs manières de faire et de procéder. Chacun des films qui composent la filmographie de ces deux cinéastes racontent une histoire qui leur est propre, mais techniquement parlant on reste sur une base uniforme. Ce sont de véritables auteurs qui ont une façon de faire, un univers, un style permettant à leurs films réciproquent d’être les nouveaux « A New Xavier Dolan Movie » ou « A New Christopher Nolan Movie ». Contrairement à ce que produisent ces deux derniers Damien Chazelle cesse de bouleverser les codes de son cinéma film après film. Il n’a pas une longue liste de films à son actif, mais a aujourd’hui déjà réalisé quatre films complètement distincts les uns des autres. Complètement ? Non, il y a bien une chose qui vient lier chaque œuvre ensemble et cette chose n’est autre que la musique.

Le jazz traverse chaque œuvre. Le jazz prédomine et fait valser les personnages diriger par un cinéaste lui-même emporté par la musique qu’il essaye insuffler à ses œuvres. Guy and Madeline on a Park Bench, Whiplash ou encore La La Land sont des films dont l’utilisation de la musique est justifiée par l’histoire contrairement à First Man. D’une musicalité intra-diégétique (donc justifiée par l’histoire) on passe à une musicalité humaine, thématique prédominante et de loin dans la filmographie de Damien Chazelle. Avec First Man il raconte l’histoire d’un homme. D’un homme dont tout le monde connaît le nom, dont tout le monde connaît l’évènement qui l’a fait entrer dans l’histoire, mais dont on ne connaît peut-être pas la psychologie. Un homme amoureux, mais tourmenté, froid et extrêmement difficile à cerner. Un travailleur acharné et extrêmement professionnel, se servant du travail afin de ne pas penser au reste et de s’enfermer dans une bulle lui permettant de ne jamais avoir à affronter ce qui est pour lui la tâche la plus difficile : craquer. Damien Chazelle fait valser les modules spatiaux, se sert de la musique pour insuffler une once d’humanité et de légèreté attendrissante à un film intense et viscéral porté par un personnage qui ne se laisse jamais déborder par l’émotion. La bande originale est extrêmement douce et délicate. Beaucoup de cordes qui cherchent à titiller notre émotivité, mais également des sonorités qui nous rappellent l’espace. Une valse spatiale dans la continuité de ce que le compositeur Justin Hurwitz avait signé pour le film La La Land. La musique est l’élément qui va aller à la recherche de l’émotion. Retranscrire la rage, la tristesse intérieure que cherche à cacher Neil Armstrong par simple pudeur et peur de ne plus être assez fort et vaillant pour accomplir sa mission. L’intensité, la brutalité et la viscéralité de la mission en question vont être insufflées par le sound design. Extrêmement percutant, chaque son semble avoir été accentué en post-production afin de donner l’ampleur nécessaire au film. Retranscrire l’ampleur de la mission, mais également permettre aux spectateurs de s’immerger pleinement au sein de l’œuvre.

Musicien plus que dans l’âme, jusqu’ici Damien Chazelle n’avait à aucun moment réellement prouvé qu’il était un grand cinéaste. Du haut de ses 33 ans difficile d’en être certain, surtout avec seulement 4 longs métrages au compteur. Si La La Land nous prouvait une certaine maîtrise de la caméra et de l’aspect technique de l’œuvre dans sa globalité, c’est bel et bien First Man qui nous prouve par A+B qu’il est un cinéaste, un auteur bien plus intéressant et accompli que ceux que l’on pût citer précédemment dans l’article. Si Guy and Madeline on a Park Bench était empreint d’un style proche du Mumblecore (mouvance du cinéma américain affichant une production souvent fauchée et qui parle de jeunes personnages qui émergent dans la vie d’adulte), Whiplash du thriller sportif stylisé et La La Land un hommage appuyé aux grandes heures de la comédie musicale, First Man s’émancipe une nouvelle fois de tout cela. Ce qui aurait pu être un biopic factuel à souhait et stylisé jusqu’au plan d’insert le plus anodin, est en réalité un film viscéral où la psychologie tourmentée du personnage transparaît au travers du style opté pour la réalisation. Chaque film qui compose la filmographie du cinéaste franco-américain dispose d’un style qui lui est propre. Damien Chazelle prend ici le risque de surprendre son auditoire qui a encore en tête les majestueux plans-séquences, plans-grues et steady cam (donc tous stables et d’une fluidité inébranlable) de sa précédente réalisation.

C’est caméra à l’épaule que le cadreur filme l’action en permanence. Une caméra qui se fait ressentir à chacun des plans. Il va chercher les détails à l’aide de sa caméra. S’approche au plus près des mains et visages des personnages. Vient étouffer le spectateur avec un panel de plans qui vont rarement au-delà du plan taille. Énormément de plans rapprochés et peu de plans larges dans le but d’immerger le spectateur, de le faire frémir et lui faire ressentir l’immensité de la mission qui attend Neil Armstrong, mais également sa difficulté à surmonter certaines épreuves personnelles. Des plans qui bougent énormément. Un tremblement constant que l’on pourrait aisément rapprocher du décollage d’une fusée, mais que l’on justifiera plus habilement de l’utilisation massive du POV (Point of View, à savoir le plan à la première personne) au sein du film. Si habituellement on a l’habitude de retrouver pour chaque scène de film trois types de plans (champ/contre champ et master), Damien Chazelle y ajoute des plans à la première personne. Des plans forcément pas stables et à hauteur d’homme. À l’image des plans à la troisième personne toujours filmés à l’épaule et par déduction : à hauteur d’homme. C’est une véritable prise de risque. Le spectateur lambda ne fera pas aisément le rapprochement entre un plan à la première et un plan à la troisième personne. Ces derniers sortiront de la salle en disant simplement : ça tremblait énormément. Ce qui est naturel et en rien quelque chose de négatif.

C’est donc bel et bien avec First Man que Damien Chazelle affirme et affiche être un auteur de cinéma incontournable, capable de nous surprendre. Un auteur qui aime le cinéma, qui le comprend et surtout sait comment utiliser les outils mis à sa disposition par ce même média afin de conter au mieux une histoire. First Man affiche quelques lacunes et tares, notamment au travers d’un rythme quelque peu hachuré par moment (le film aurait dû être plus long et ça se ressent), mais il n’en demeure pas moins un grand film. De ce qui aurait pu être une aventure spatiale stylisée à l’image de son précédent film, le cinéaste choisi de réaliser un film intimiste, viscéral et profond. Il fait valser les modules spatiaux afin de faire baisser une tension intense permanente créée par un sound design impressionnant et une réalisation mouvementé. C’est son film le plus cher (70 millions de dollars de budget), mais aussi son plus terre à terre. On en voit les ficelles, on imagine le placement des spots sur chacun des plans afin de créer de la backlight et donner du relief aux acteur.rice.s, mais c’est ce qui le rend encore plus beau. Si on est du milieu ou connaisseur, on voit comment le film a été fait et surtout pourquoi ça a été fait de la sorte. Ce n’est pas le fruit du hasard s’il vient stylisée uniquement un plan en intérieur avec un bleu extérieur appuyé (donc surréaliste vis-à-vis du reste du film), Damien Chazelle et son équipe s’abandonnent à l’histoire, le travail technique n’est pas simplement fait pour être une mise en image. C’est bien plus que ça.


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