CinéCinéphile

Quelques mots, sur ces œuvres que nous découvrons depuis le Québec ou la France, sur notre écran d'ordinateur ou dans notre salle de cinéma favorite.

Douleur et Gloire, portrait d’un cinéaste en forme d’autobiographie


Synopsis : « Une série de retrouvailles après plusieurs décennies, certaines en chair et en os, d’autres par le souvenir, dans la vie d’un réalisateur en souffrance. Premières amours, les suivantes, la mère, la mort, des acteurs avec qui il a travaillé, les années 60, les années 80 et le présent. L’impossibilité de séparer création et vie privée. Et le vide, l’insondable vide face à l’incapacité de continuer à tourner. »


Les lumières de la salle de cinéma s’allument, tu te repositionnes sur ton siège pour avoir fière allure parce que la position “je m’installe comme à la maison” ce n’est pas trop ça, et là, ton ami(e) se retourne vers toi et te pose la question fatidique…

Almodóvar et Cannes, c’est une histoire particulière. Seulement deux prix offerts par les jurys sur les cinq films déjà montrés et sans doute un sentiment de déception. Quand en 1996, Tout sur ma mère est présenté à Cannes, les festivaliers sont certain que l’on tient là une Palme d’Or parfaite. Hélas, le jury présidé par David Cronenberg en décide autrement. Résultat, l’année suivante, Parle avec elle (que tout le monde adore ou presque) sort avant Cannes et connaît une gloire internationale avec Goya, César et Oscars à la clé. Alors quand Pedro vient à Cannes, c’est toujours un événement !

Pour ce nouveau film, son 21e, il aligne Antonio Banderas et Penélope Cruz dans deux histoires parallèles aux résonances fortes. Un réalisateur souffre et une mère déprimée dans des flashback. Si cette forme a déjà été utilisée plusieurs fois par le réalisateur madrilène, il y met ici l’art et la manière en ancrant l’histoire dans le présent d’un réalisateur perdu, paumé au moment où on veut lui rendre les honneurs grâce à la ressortie de son premier film à succès, Sabor. Et en se plongeant dans cette aventure, il va retrouver sur son chemin : son enfance, un acteur qu’il a détesté, un amour profond, une amitié durable et l’éveil à la sexualité. Almodóvar va retrouver son chemin.

Si on retrouve les thèmes qui lui sont chers, on découvre surtout en filigrane un portrait du réalisateur. Où est la vérité ? Où est la fiction ? Tout Almodóvar est là sous nos yeux mais est-ce bien lui ce réalisateur malade ? Le mimétisme est troublant. Antonio Banderas s’efface derrière le rôle pour nous livrer une partition incroyable. Est-il Pedro Almodóvar ou se contente-t-il de livrer une composition pour laquelle il fait preuve d’une douceur mais aussi d’une mélancolie qu’il n’avait jusque-là jamais montré ? Cette question sous-tend toute l’histoire sans jamais empêcher le récit d’avancer vers son but ultime : retrouver l’envie, la saveur des premiers instants pour lesquelles Pedro use de ses talents de conteurs pour nous emmener avec lui dans son passé.

Un passé heureux où le futur réalisateur Salvador entre dans la chœur de l’église de son village, où il apprend à lire, écrire, compter au point de développer des capacités de professeur pour Albañil, le jeune carreleur employé par ses parents. Comme toujours chez Pedro, il faut une étincelle pour révéler le jeune enfant à son futur : l’envie de raconter des histoires et surtout l’éveil au désir en la personne de César Vicente, d’une beauté à tomber. Pourtant, afin de comprendre cette vision qui transforme la vie du jeune garçon, Pedro Almodóvar nous entraîne dans la vie de son réalisateur souffrant.

La souffrance est le maîtresse de Salvador adulte : douleurs de dos, maux de tête, dépression prégnante, mal-être permanent surtout depuis que sa mère est morte. La représentation des douleurs est habilement montrée, au point même que l’on devine que désormais, il s’agit d’un jeu, d’une compagne obligatoire pour Salvador. Et puis, il y a surtout la figure de la mère. Elle revient hanter Antonio Banderas. Dans ses souvenirs d’enfant, elle est volontaire, courageuse, solaire mais par moment dépassée par la nouvelle vie que lui offre son mari. Dans les derniers moments de sa vie, elle est une mère dure, difficile, reprochant à son fils d’avoir été « un mauvais fils ». Une raison que l’on découvre au fur et à mesure du retour sur le passé de Salvador.

Pedro Almodóvar place les pièces d’un puzzle que le spectateur doit assembler comme autant de petits cailloux qu’il sème pour qu’on le suive… là où il veut nous emmener. La force de Douleur et gloire est de nous manipuler pour mieux confondre réalité et fiction. Pedro est-il Salvador ? Salvador est-il le Pedro actuel ? Avec un mimétisme saisissant, Antonio Banderas devient le réalisateur madrilène diminué par moment, drôle par endroit, mélancolique souvent mais jamais triste. En se retournant vers son passé, aucune once de tristesse. Des regrets sans doute mais pas de larmes superflues car Douleur et gloire s’inscrit à l’opposé de Julieta, le précédent film d’Almodóvar. Quand dans Julieta, le passé permettait de comprendre le présent au point de le rendre plus difficile et malheureux, ici, l’histoire permet une renaissance. Elle sous-tend tout le film : Salvador pourra-t-il de nouveau être heureux ?

Pour cela, il faut affronter les fantômes d’hier : un acteur qu’il a connu et adoré mais avec lequel il s’est opposé (génial Asier Etxeandia), un amant sous addiction aujourd’hui apaisé (Leonardo Sbaraglia d’une douceur infinie), une mère partagée entre l’amour de son fils et la tristesse d’une vie dans une caverne (Penélope Cruz et Julieta Serrano magiques comme deux faces d’une même pièce car elles ont énormément tourné avec le cinéaste). Et enfin le souvenir d’un jeune travailleur à l’origine de la vocation du cinéaste (troublant César Vincente). Au centre deux Salvador : Banderas et le jeune Asier Flores. Sorte de film somme pour Almodóvar, Douleur et gloire renvoie au meilleur du cinéma du réalisateur. Tout nous rappelle ses autres productions et dans le même temps, il crée une oeuvre originale en se mettant en danger car il se livre plus que d’habitude. Ce passé trouble le spectateur, ce présent montre un homme usé et fatigué comme si les amours et la douleur avaient eu raison de son cinéma. Pourtant, l’homme est debout, vivant et prêt à reprendre le combat : ce film marque la fin d’un cycle pour permettre à Pedro de tourner la page d’une vie qu’il a trop souvent regardé dans le rétroviseur.

Et si le réalisateur convoque tous les fantômes du passé, il le fait toujours dans un tourbillon de folie et d’émotion. Le plus bel exemple est démontré avec le monologue Addiction que narre Alberto, premier acteur du premier film de Salvador. Ce monologue n’est pas sans rappeler celui qu’avait déclamé non sans humour Antonia San Juan dans Tout sur ma mère… sauf que le réalisateur inverse la donne : cette fois, l’humour ouvre le monologue mais très vite l’émotion, la mélancolie d’un amour passé font surface pour amener l’une des plus belles scènes du film bercée par la musique du complice compositeur de toujours, Alberto Iglesias. Ce passage dévoile la tendresse de Federico, amour toxique de Salvador quand ils étaient plus jeunes… et aujourd’hui… l’amour a laissé place à de la tendresse.

Puisque l’on parle de fantômes, les actrices et les acteurs aimés par Almodóvar traversent le film. Ainsi, Cecilia Roth ouvre ce bal dans un rôle d’actrice sur le retour. Ou encore Raúl Alévaro en père religieux bien moins inquiétant que celui de la mauvaise éducation. Quand les lavandières chantent, c’est d’un seul coup les femmes de Volver qui émergent. Quand la beauté d’Albañil est révélée, alors Almodóvar rappelle tous ces hommes qui ont traversé son cinéma. Sensibles, beaux, tourmentés, drôles, tristes, décalés, les personnages masculins ont réussi à imprimer dans la mémoire collective l’envie et le désir, quand les femmes restent les référentes, la douceur et finalement la force. Dans Douleur et gloire, Pedro réunit tout son panthéon pour mieux le contrôler. Mais dans quel but ? Écrire une nouvelle partie ou clore un chapitre de sa vie ? Mélanger la réalité et la fiction pour mieux se perdre afin de se retrouver ? Si le dernier film du maître madrilène ouvre une possibilité de mieux le comprendre, Douleur et gloire brouille les pistes pour conserver encore un peu de secret. Et laisser en suspens une question : s’agit-il une autobiographie filmée ? « Oui, non, absolument » comme le déclame le réalisateur. Un film malin, tendre, drôle, délicat, né dans la douleur mais qui offre de nouveau la gloire à Pedro Almodóvar : assurément un chef d’œuvre !


« Douleur et gloire marque la fin d’un cycle pour permettre à Pedro de tourner la page d’une vie qu’il a trop souvent regardé dans le rétroviseur. »


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