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[PORTRAIT] David Fincher : derrière le voile des apparences numériques

« Article universitaire, écrit dans le cadre d’une licence d’arts, en cinéma. Mis  en ligne à l’occasion de la sortie de la nouvelle série Netflix « Mindhunter ».Un retour sur les obsessions du cinéaste David Fincher, en attendant une critique-analyse de la série. »

 

Parmi les cinéastes américains contemporains actuels, il est difficile de ne pas penser à David Fincher, cinéaste adulé par les critiques et les cinéphiles. Reconnu pour sa modernisation du classicisme hollywoodien à travers sa mise en scène visuelle reconnaissable et son utilisation de la caméra numérique, il est considéré comme l’un des premiers pionniers de ce cinéma à l’image numérique.

David Fincher est connu pour être un cinéaste de l’image, formé aux trucages lors de ses débuts chez ILM (Industrial Light and Magic), la société d’effets spéciaux fondée par George Lucas, réalisateur de la saga Star Wars (1977 – 1983). Fincher y travaillera quatre ans sur des films comme Le Retour du Jedi (Return of the Jedi, Richard Marquand, 1983) et bien d’autres. Par la suite, il fit ses premiers pas dans l’esthétique de la publicité pour des marques comme Heineken, Levi’s ou encore Chanel, et du clip pour des artistes comme Madonna (Express Yourself par exemple) ou Les Rolling Stones (Love is Strong).

David Fincher signa son premier long-métrage au sein de la franchise de science-fiction à succès Alien, dirigé par la Fox. Le projet étant déjà passé entre les mains de plusieurs réalisateurs et scénaristes, Fincher arriva sur le projet après le départ du réalisateur Vincent Ward qui aura contribué au scénario final. La production du film Alien 3 est lancée alors que le scénario n’est pas encore achevé. David Fincher garda un très mauvais souvenir de ce tournage chaotique où le cinéaste dû sans cesse revoir sa mise en scène en fonction des changements opérés sur le scénario. Fincher quitta la production avant le montage du film, les producteurs de la Fox ayant décidé de supprimer plusieurs scènes tournées par le cinéaste dans la version cinéma sortie en 1992. Une version longue contenant les scènes supprimées verra le jour en 2003, mais aujourd’hui, David Fincher renie complètement son premier film.

Malgré cet échec, Fincher va s’inscrire par la suite parmi les cinéastes américains les plus prometteurs de sa génération avec son second long-métrage Seven (1995), aujourd’hui considéré comme une référence visuelle dans le genre du thriller qui devient, par la suite, le genre de prédiction chez le cinéaste. Il se fit très vite remarqué par son esthétique, à la fois visuelle et critique sur la société américaine. Au début des années 2000, il devint l’un des premiers cinéastes à utiliser la révolution numérique dans Panic Room (2002) où il modernise le voyeurisme hitchcockien en passant à travers les serrures des portes dans un huis clos hanté par la figure du numérique.

Depuis le réalisateur est connu dans le milieu cinématographique pour sa mise en scène « numérique », une image parfaite et symétrique, une esthétique épurée qui n’est pas sans rappeler le classicisme hollywoodien. Un des thèmes les plus récurrents de la filmographie de Fincher sonne en concordance avec cette esthétique : la représentation du média connecté (le journalisme des années 70 dans Zodiac (2007), le réseau social Facebook dans The Social Network (2010) et l’apparence médiatique dans son dernier film Gone Girl (2014)).

Depuis la « manipulation » subie par Fincher lors de la production chaotique du film Alien 3, le réalisateur semble garder un contrôle maniaque sur ses films et leur mise en scène. Cet incident de début de carrière aurait-il eu un impact sur les thèmes du cinéaste qui décrit un portrait froid et cynique de l’Amérique sous l’emprise du contrôle médiatique ? À travers les trois derniers longs-métrages du cinéaste (Zodiac, The Social Network et Gone Girl), nous aborderons la question de la mise en scène de David Fincher comme la représentation d’un portrait cynique d’une Amérique contrôlée par l’évolution médiatique sur le temps.


« Zodiac » : Le mal à travers les signes 

Ce n’est pas par hasard que David Fincher accepte de réaliser Zodiac (2007) lorsque les producteurs et le scénariste James Vanderbilt lui proposent le scénario du film. David Fincher entretient un lien particulier avec l’affaire du Zodiaque, un tueur qui sema la terreur au sein de la paisible Californie des années 70. Le tueur revendiqua ses meurtres en envoyant des lettres aux médias de l’époque. L’affaire prendra une tournure obsessionnelle, notamment à cause de sa médiatisation qui n’échappa guère à Fincher, encore enfant dans les années 70. Le réalisateur faisait en effet partie des élèves présents dans les bus scolaires que le tueur menaçait de faire exploser auprès des médias.

L’aspect médiatique a eu un véritable impact sur le cinéaste et cela se ressent dans chaque plan du long-métrage qu’il dédie à cette affaire. Le film est basé sur les écrits de l’ancien dessinateur du Chronicle, Robert Graysmith, interprété à l’écran par Jake Gyllenhaal, qui à travers son livre intitulé Zodiac, paru en 1986, relate la chronologie de l’affaire à partir du point de vue des journalistes. Graysmith a travaillé avec l’un des journalistes du Chronicle, Paul Avery (Robert Downey. Jr) ainsi qu’avec l’inspecteur de police Dave Toschi (Mark Ruffalo).

Le point de vue du livre écrit par Graysmith devient alors une deuxième raison pour Fincher d’intégrer le tueur du Zodiaque à l’un des thèmes récurrents de sa filmographie : la figure du mal invisible, sans visage, qui se faufile au milieu des images. Dans le livre de Guillaume Orignac, David Fincher ou l’heure numérique (Éditions Capricci, 2011), l’auteur parle de cette particularité dans l’œuvre du cinéaste : « (…) le mal prend le visage insoupçonnable du familier ».

C’est à partir d’une lettre que le tueur fait son entrée pendant le générique du film, après avoir assassiné un couple dans leur voiture lors de la scène pré-générique. Nous suivons l’arrivée de la lettre dans les bureaux du Chronicle, en montage alterné avec celle du dessinateur du journal Robert Graysmith qui, comme la lettre dans le chariot du courrier, fait son chemin jusqu’aux bureaux du journal qui ne sont pas sans rappeler ceux du film de Alan J. Pakula Les Hommes du Président, sorti en 1976 parmi la vague des thrillers paranoïaques de l’époque du Nouvel Hollywood dont le classicisme inspire les films de Fincher. Le tueur dans Seven (1995) prépare également ses meurtres dans le générique tout en étant hors champ, les deux tueurs ayant pour particularité d’être à la fois un mélange d’absence et de présence à l’image.

Le Zodiaque est ici présent à travers des symboles, des lettres et des chiffres. Le montage suit ainsi le chemin qu’emprunte le tueur, partant de la lettre suivie par la caméra numérique : la caméra « Thomson Viper FilmStream » utilisé par Michael Mann sur le film Collateral (2004) qui fut l’un des premiers films à être tourné à environ 80 % en numérique. Zodiac s’inscrit parmi ces films tournés avec le numérique après Panic Room (2002), le précédent film de Fincher, dans les locaux du journal, avant d’être examiné puis capturé par l’objectif d’un appareil photo qui « numérise » le message codé. Nous sommes alors projetés dans l’œil de l’appareil qui immortalise le message du meurtrier en faisant de ces signes une information qui se répand, en passant par le téléphone, la photographie, avant de pénétrer dans l’intimité d’un couple qui reçoit le message codé et le déchiffre en lisant le journal au petit déjeuner.

Le Zodiaque devient un flux, une information déclenchée par la sonnerie du combiné de téléphone, omniprésent dans pratiquement tous les plans, faisant circuler l’information au rythme de la narration comme le faisait Alan Pakula dans Les Hommes du Président. Le téléphone devient donc un des principaux liens avec le tueur, qui prendra différentes formes, comme cet homme « prétendant » être Zodiaque et menaçant de tuer des enfants dans les bus scolaires, lors de la scène sur le plateau de télévision. Le tueur prend la place du téléspectateur qui appelle l’émission en regardant son poste de télévision, le présentateur s’adressant au Zodiaque en regardant la caméra dont on peut voir le retour de l’image dans plusieurs plans, sur des reflets de vitres, les écrans de la régie, sur le prompteur d’une caméra ou encore sur le téléviseur que regardent les employées du journal en simultané avec Graysmith et son fils dans leur salon. Une autre scène plus tardive dans le film nous montre les titres des journaux et les messages codés en surimpression, avec les lettres lues en voix off par les personnages du film. Le tueur fait désormais partie de l’image, se fondant dans la masse par la voix « familière » de Graysmith ou Toschi.

Le Zodiaque contamine alors le film, faisant avancer l’intrigue au rythme de sa menace, jusqu’à ce que les téléphones cessent de sonner lorsqu’il disparaît pendant 4 ans, laissant derrière lui un personnage fantasmé par les médias et la population. Son absence devient presque « une déception » pour Graysmith. Le tueur a laissé un impact sur la paisible Californie.


« The Social Network » : Fenêtre sur le Réel 

Lors d’un entretien avec la revue de cinéma Positif (Personne n’a qu’une seule vérité, Positif n°597, Novembre 2010), à l’occasion de la sortie en salle de The Social Network (2010), David Fincher expliquait comment il s’était retrouvé impliqué dans le projet. « Aaron Sorkin (le scénariste du film) avait déjà terminé le scénario. Amy Pascal (responsable de la production à Sony) et Scott Rubin (producteur) m’ont appelé (…) ils voulaient que je le lise. Je devais leur donner une réponse le lundi. Mais je les ai rappelés dès le samedi soir. Je ferai le film à deux conditions. La première, c’est que la production commence sur-le-champ. (…) Il n’y a pas à développer le scénario, il faut le filmer tel quel (…) La seconde condition était liée au fait que Facebook refusait toute coopération. Mobilisez votre département juridique et assurez-vous que le film soit inattaquable. Je connais bien le problème pour l’avoir affronté sur Zodiac. »

Sur deux films basés sur des faits réels, le cinéaste ne s’est pas contenté pas de réaliser un simple biopic relatant des faits tels qu’ils se sont déroulés sans véritablement poser un regard sur leurs contenus. Fincher veut parler de Mark Zuckerberg et de Facebook à sa manière, tout comme il parla du Zodiaque à partir de son propre point de vue, en livrant une réflexion sur une Amérique qui médiatise une paranoïa collective. Ici, Fincher posa un regard sur une jeunesse vivant à l’heure d’une nouvelle ère numérique, où l’arrivée des réseaux sociaux dans les mœurs avait modifié la nature des relations sociales, les transposant sur des écrans qui viennent envahir notre société contemporaine. Dans son ouvrage, Guillaume Orignac évoque la manière avec laquelle Fincher filme l’impact de ses écrans sur le réel : « The Social Network représente moins des écrans que les effets directs d’une ligne de code dans le champ du réel. (…) Voilà l’image du monde à l’heure numérique : les signes sont nos compagnons et nos tourments … ».

Les « effets directs » dans le réel qu’évoque Orignac dans son livre se reflètent dès la scène pré-générique du film où Mark Zuckerberg (Jesse Eisenberg) parle avec sa petite amie dans un pub. Le garçon qu’elle qualifie de Nerd s’adresse à cette dernière avec un débit de paroles accélérées comme s’il lui parlait dans un langage qu’elle ne peut comprendre. La jeune femme lui répond alors : « Mark, je n’ai pas de langage codé ». Zuckerberg analyse tout ce que dit sa petite amie comme une machine informatique qui répond à des questions que l’on lui pose. Il finit par devenir égocentrique, insultant, envers la jeune femme qui rompt avec lui à la fin de la conversation. Zuckerberg rentre alors seul, le générique suit le chemin du jeune étudiant traversant le campus de Harvard comme le générique de Zodiac suivait Robert Graysmith traversant les bureaux du Chronicle.

Fincher tourne son film avec une caméra numérique supérieure à celle utilisée pour Zodiac, une « Red One ». Les plans du générique sont à l’image de la technologie utilisée, des plans symétriques et des mouvements panoramiques fluides et calculés, une définition d’image en 4K qui affiche une perfection de l’image, nette et soignée, correspondant à ce « classicisme numérisé » cher au cinéaste qui transforme les ruelles de Harvard en un véritable écran d’ordinateur où les pixels se fondent dans la réalité.

De retour dans sa chambre, Zuckerberg s’assoit devant son ordinateur pour créer « Facemash », un site de votes comparant les étudiantes de l’université comme on compare des bêtes de ferme, un jeu cynique qui devient l’origine d’un des réseaux sociaux comportants aujourd’hui le plus de membres dans le monde. Cette idée de partager sur un réseau (celui d’Harvard dans le film) des informations, de mettre « J’aime » sur la photo d’une étudiante. Il s’agit ici d’un choix binaire entre deux photographies de deux jeunes filles différentes, qui se propage comme un flux où l’on voit les étudiants de Harvard choisir leur préférence à droite ou à gauche sur un écran d’ordinateur comme s’il ne s’agissait que d’un simple jeu virtuel, à la différence que l’on joue avec ce qui se trouve dans le champ du réel.

La fenêtre de l’ordinateur de Mark Zuckerberg, jeune Nerd qui se sent incompris par un monde qui ne parle pas dans le même langage codé que lui, se confond avec celle de sa chambre donnant sur le monde réel, où son meilleur ami, Eduardo Sanchez (Andrew Garfield) inscrit un algorithme qui permet la création du site en ligne. Aujourd’hui, la jeunesse que filme Fincher maîtrise une équation mathématique, une clé d’accès sur un monde numérique où les relations humaines se confondent avec le virtuel et les chiffres. Comme le tueur dans Zodiac qui se cache derrière un message codé, Zuckerberg observe un monde dont il se sent rejeté à travers des données inscrites sur une fenêtre.


« Gone Girl » : derrière l’Image

Entre la réalisation de The Social Network et Gone Girl, David Fincher s’est essayé à la production télévisuelle avec la série House Of Cards (2013), mettant en scène Kevin Spacey, le visage du mal dans Seven (1995), sous les traits d’un homme politique qui tente d’accéder au pouvoir à la Maison Blanche, en faisant tomber ses adversaires politiques, un par un, comme dans une partie d’échec.

La série s’inscrit rapidement dans le panthéon des séries politiques telles que Homeland, une série d’espionnage sur le terrorisme qui dénonce également le système médiatique qui entoure la politique. House Of Cards présente la campagne politique comme un véritable jeu de rôles passionnant où chaque personnage se crée une apparence médiatique derrière laquelle le spectateur est amené à se retrouver en position de voyeur dans l’intimité de ces personnalités. Le spectateur se retrouve également dans les dessous des campagnes présidentielles et des stratégies du jeu politique de Frank Underwood (Kévin Spacey), futur président des États-Unis d’Amérique, qui s’adresse au spectateur lors d’apartés où le personnage brise le quatrième mur pour nous faire partager son plan qui le mènera de manière, plutôt illégale, au pouvoir.

Autant dire que Gone Girl (2014), le dernier film en date de David Fincher, est dans la continuité logique de la filmographie du cinéaste. Adaptation du best-seller Les Apparences de Gillian Flynn (également scénariste du film), avec un titre qui fait écho à la place centrale du média chez le cinéaste, que ce soit dans Zodiac, The Social Network  ou encore la série House Of Cards que nous venons d’évoquer.

Gone Girl est un film qui joue sur les différentes facettes d’un couple, celui de Nick (Ben Affleck) et Amy Dunne (Rosamund Pike), où Fincher nous propose son film comme une étude satirique du couple et de ses faux semblants. La mise en scène du cinéaste joue sur les multiples contrastes des deux versions du couple, de leur idylle et de la disparition soudaine de Amy, laissant derrière elle des preuves, autant scientifiques que morales, accusant son mari de l’avoir assassiné. Nick Dunne se retrouve alors soudainement sous les feux des projecteurs, devenant le mari infidèle, violent et immoral le plus détesté des États-Unis par la population qui juge le personnage à travers leurs multiples écrans.

Après l’ère de la naissance du numérique dans The Social Network qui se déroule en 2003, Gone Girl se passe lors de notre ère contemporaine où l’information est transmise en simultanée sur nos télévisions, nos ordinateurs et nos Smartphones. Lors de la sortie du film en 2014, le film reçoit un très bon accueil de la part de la critique, notamment la revue Positif (Adrien Gombeaud, Gone Girl, En Apparence, Positif n°645, Novembre 2014) qui écrit : « Gone Girl devient le portrait d’une justice spectacle où la culpabilité d’un homme ne se juge plus au tribunal, mais à la télévision et sur les réseaux sociaux (…) où le réel se plie aux lois des apparences, où des émotions fabriquées l’emportent toujours sur la sincérité (…) tout est joué, répété (…) la vie n’est plus qu’un vaste reality show … ».

La mise en scène de Fincher joue sur les apparences « techniques », le film étant filmé avec une caméra 6K RED Epic Dragon, donnant une définition de l’image 9 fois supérieure à celle des caméras standard filmant en HD. Gone Girl est l’un des premiers films à être tourné avec une technologie de pointe aussi avancée et cela sert à « l’apparence » de la mise en scène du cinéaste. Fincher varie entre des souvenirs narrés par le journal de Amy en voix off où la musique de Trent Reznor (qui signait la partition de The Social Network) prend le dessus sur les dialogues de Nick et Amy, ce qui crée une atmosphère sphérique, une réelle bulle autour des personnages qui baignent dans un rêve idéalisé à la lumière chaude et artificielle, à l’image nette et sans grains, où tout est absolument parfait dans leur relation.

Puis Fincher interrompt le rêve pour basculer dans le présent, au moment de l’enquête sur la disparition de Amy, dans une réalité aux couleurs froides, où la musique de Reznor électrise l’atmosphère, créant des tensions autour du personnage de Nick qui se retrouve dans des environnements où il est jugé sur son image, au milieu de ce qu’il appelle « Les fans » de Amy : les parents idolâtres, la meilleure amie qui connaît Amy sur le bout des doigts devant les caméras, l’ex-petit ami du lycée qui continue à être obsédé par la jeune femme et bien d’autres. Toute une population qui idéalise l’image de l’épouse de Nick que tout le monde voit sous les traits figés du personnage crée par la jeune femme dans les bandes dessinées dont elle est la protagoniste « L’épatante Amy » (The Amazing Amy), créée par ses parents et figure médiatique de Amy, adorée par les gens qui suivent l’affaire sur leur téléphone, sur leur tablette, sur leur téléviseur, etc.

L’information se propage comme un flux, comme le tueur de Zodiac et le « Facemash » de Zuckerberg dans The Social Network. Les parents propagent l’éternelle image sur leur « Épatante Amy », notamment dans les conférences de presse. Lors de la première conférence organisée pour lancer l’avis de recherche de la jeune femme, Nick et ses beaux-parents sont dans une fausse unification aux couleurs froides, face aux projecteurs des caméras qui surexposent la photo de Amy sur de grands panneaux de recherche à côté de laquelle Nick fait figure pâle. Les parents commentent l’image « sublimée » de Amy (une fille belle, généreuse et souriante) et demandent à travers les caméras des journalistes de soutenir la recherche de Amy sur leur site intitulé « l’épatante Amy ».

Ce deuxième nom de la jeune femme, celui de son apparence médiatique, hante le film. Chaque personnage a sa couverture médiatique : l’avocat de Nick étant l’image type de l’avocat des affaires criminelles médiatiques dont raffolent les Américains. Pour sauver Nick Dunne que tout accuse, il doit à son tour mentir et devenir une « apparence médiatique », un « singe savant » comme le souligne la sœur de Nick à qui l’avocat lance des bonbons lorsqu’il répète son texte avant de présenter publiquement ses excuses à Amy sur un plateau télé. Nick doit désormais enfiler une deuxième peau, celle du mari aimant et parfait, qui est surexposé par la lumière des projecteurs dans l’émission de télé comme l’est Amy sur cette photo idéalisée affichée dans toute l’Amérique sur des panneaux géants.

Au moment de l’enregistrement de l’émission, une ellipse reporte l’émission à sa diffusion simultanée sur des téléviseurs, où l’on peut voir Nick qui regarde l’émission dans « le champ du réel », opposé à son double médiatique dans le cadre de l’image « numérique » où il devient l’apparence idéale aux yeux de Amy et de ses « fans ». Nick est désormais prisonnier de cette image médiatique à laquelle il ne peut plus renoncer. Il prête alors serment devant des millions de spectateurs : « J’aime ma femme. ». Les juges, derrière leur écran, ont rendu leur verdict.

Conclusion : Le « Monstre » de Fincher 

En analysant les trois derniers films du cinéaste David Fincher, on peut constater le retour de plusieurs thèmes récurrents : l’esthétique épurée du cinéaste et son classicisme hollywoodien « numérisé ». Le cinéaste recherche une perfection technique inégalable, les moyens techniques devenant de plus en plus performant sur ses trois longs-métrages. La thématique du média impacte la population américaine, en commençant par le message codé qui pénètre dans l’intimité d’un couple qui lit son journal dans Zodiac (2007), puis en passant par le site viral « Facemash » qui contamine le réseau de Harvard dans The Social Network (2010), jusqu’à l’apparence médiatique de « l’épatante Amy » qui envahit les écrans de l’Amérique dans Gone Girl (2014).

Ces deux thèmes aboutissent à un troisième qui est la figure du mal véhiculé par le flux d’informations à travers les trois films : celle du Zodiaque par le biais des signes, le voyeurisme de Zuckerberg à travers les données de sa fenêtre virtuelle ouverte sur le monde puis la manipulation de Amy qui se fait aimer de la population américaine en utilisant les faux-semblants médiatiques. Dans chacun des films de David Fincher, le(s) personnage(s) se retrouve(nt) sous l’emprise d’un mal qui lui est (sont) infligé(s) par une information circulant à travers un média connecté à d’autres qui deviennent spectateurs de son malheur.

Cette emprise les dépasse par sa supériorité, tout comme il fut un temps où le cinéaste fut dépassé par sa propre création. Un « monstre », en l’occurrence celui de Alien 3 (1992) qui ne lui appartenait plus, contrôlé par quelque chose de supérieur dans la hiérarchie du système hollywoodien (les studios de la Fox). Aujourd’hui, David Fincher chasse un monstre à travers ses films, celui qui prend l’apparence de ses images numériques et de sa mise en scène millimétrée au pixel qui devient un reflet miroir de la société américaine dans laquelle il fit ses premiers pas dans le monde de la publicité, des débuts qui eurent un impact sur sa patte « visuelle ».

Une apparence trompeuse à l’image perfectionnée des médias dont Fincher sert la cause pour mieux en dénoncer ses vices. Fincher retouche avec cynisme l’image de son Amérique (qui n’a pas tellement changée depuis son enfance dans les années 70) toujours contaminée, derrière ses écrans par la paranoïa du mal.


En attendant de voir David Fincher mettre en scène des hordes de zombies dans World War Z deuxième du nom, la série Mindhunter dont il est producteur délégué et réalisateur des épisodes 1, 2, 9 et 10, est disponible sur Netflix depuis le 13 octobre 2017.

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