CinéCinéphile

Quelques mots, sur ces œuvres que nous découvrons depuis le Québec ou la France, sur notre écran d'ordinateur ou dans notre salle de cinéma favorite.

A Sun, le mur de la paternité

Synopsis: « A-Ho se retrouve incarcéré en centre de détention après une histoire de vengeance qui a mal tourné. Le jugement de son père A-Wen, instructeur auto-école, est catégorique, il n’a désormais plus qu’un fils, son ainé, A-Hao, brillant étudiant en médecine, au comportement irréprochable. Lorsque Qin, leur mère, découvre que la petite amie de A-Ho est enceinte elle décide de la prendre sous son aile, malgré l’absence totale de soutien de son mari. Mais bientôt leurs choix et leurs visions de la vie devront faire face à un tout autre drame. »


Les lumières de la salle de cinéma s’allument, tu te repositionnes sur ton siège pour avoir fière allure parce que la position “je m’installe comme à la maison” ce n’est pas trop ça, et là, ton ami(e) se retourne vers toi et te pose la question fatidique…

A Sun, long métrage de deux heures trente, a raflé la majorité des prix lors de la 56ème cérémonie du Cheval D’Or de Taipei. Honoré, entre autres, pour sa réalisation, et sa direction d’acteurs le cinéaste Taiwanais Chung Mong-Hong nous propose une oeuvre singulière et parfaitement maitrisée. Auparavant encensé par la critique pour Godspeed et Soul, thrillers horrifiques caractérisés par leur humour noir, le ton de A Sun se veut radicalement différent.

Le cinéaste explique, dans une interview, avoir voulu se mettre au défi d’une exploration réaliste et profonde de la difficulté et la complexité de la vie. Pari réussit car après une introduction d’une brève violence, le film explore à travers un décor citadin bruyant et oppressant, les tumultes dramatiques d’une famille de la classe moyenne noyée par les regrets et non-dit.

Le soleil de cette famille, c’est A-Hao. Enfant prodige au tempérament toujours égal et exempt de jugements, il réconforte par la douceur de son amour, sa mère, et illumine sa petite amie par sa sagesse. A-Ho son cadet brûle de ne jamais atteindre l’excellence de son frère et ses mauvaises fréquentations le poussent dans une impasse. Il tentera, de toutes ses forces, de rattraper les erreurs commises, en quête d’une rédemption que la société, et surtout son père, ne lui concédera pas aisément.

Moralisatrice, froide et distante dans A Sun, la figure paternelle, dans les films asiatiques, est très souvent critiquée. Et à juste titre, car A-Wen, incarné ici par l’immense Chen Yi-Wen , délaissera dans un premier temps son cadet, qu’il juge comme méritant son sort et qu’il souhaite voir punit, ainsi que sa femme, qu’il laisse sans soutien. Nous le suivrons errer de nuit entre les cônes orange vif du terrain d’entrainement de l’auto-école ou éclaboussé d’excrément après avoir fait le choix de l’ignorance et du mépris. Son périple le placera dans les traces de ses enfants, pour parvenir à les comprendre, les aimer pour ce qu’ils sont et ne sont pas.

Les querelles et interactions d’une justesse éblouissante sont ponctuées d’une musique épurée ne venant pas surjouer l’émotion. S’articulant en deux actes majeurs, A Sun parvient à mêler un langage simple et symboliquement évident à une lecture beaucoup plus funeste et mélancolique. On souffre, et on endure chacun des échanges de coups donnés par des personnages qui ne cessent de se démener pour continuer à avancer, mais que l’on sent épuisés par le combat, humainement pas taillés pour.

Le film choisira de seulement esquisser, les personnages féminins en périphérie, à savoir les petites amies des deux frères pour se concentrer sur cette relation père-fils. Samantha Ho, dépeignant Qin, une mère de famille extraordinaire d’abnégation, encadre ces joutes masculines silencieuses et autoritaires.

Le thème du suicide y sera abordé d’une manière peu commune, semblable à la chaleur d’un rayonnement solaire qui ne nous atteint plus. Il se passe un temps avant de ressentir cette absence, loin d’une onde de choc instantanée. S’en suit des rêves, des visions, des visites au cimetière et les
premiers contacts avec des objets du quotidien de l’être disparu. La mémoire tentant de combler le vide.

Chung Hong-Mong, utilise comme un étau, l’ouverture et le dénouement de la narration, au style très typique de ses précédentes œuvres. Les malfrats aux méthodes brutales et un univers en marge de la société, laisse place dans sa longueur à des sujets plus universels, à une intimité fragile et distante, laissant la caméra en retrait ou encore accompagnant les protagonistes de dos alors qu’ils se séparent involontairement. Le contraste constant du jour et de la nuit ne se perd pourtant pas dans une binarité réductrice.


Actuellement disponible sur Netflix.

« Si tout est clairement explicité dans A Sun (que ça soit dans les dialogues ou la représentation) c’est précisément pour ne pas nous perdre, mais nous accrocher à l’essentiel : la quête d’un amour d’abord refusé et incompris puis dispensé jusqu’à l’extrême. »

Au Suivant Poste

Précedent Poste

Poster un Commentaire

© 2024 CinéCinéphile

Thème par Anders Norén