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Quelques mots, sur ces œuvres que nous découvrons depuis le Québec ou la France, sur notre écran d'ordinateur ou dans notre salle de cinéma favorite.

Trois Jours et Une Vie, hommage au polar noir français par Nicolas Boukhrief


Synopsis : « 1999 – Olloy – Les Ardennes belges. Un enfant vient de disparaître. La suspicion qui touche tour à tour plusieurs villageois porte rapidement la communauté à incandescence. Mais un événement inattendu et dévastateur va soudain venir redistribuer les cartes du destin… »


Les lumières de la salle de cinéma s’allument, tu te repositionnes sur ton siège pour avoir fière allure parce que la position “je m’installe comme à la maison” ce n’est pas trop ça, et là, ton ami(e) se retourne vers toi et te pose la question fatidique…

Ne pas trop en dire… ne rien savoir… ne pas regarder la bande-annonce pour laisser l’ambiance vous envahir dès les premières images. Dès ce plan magnifique de cette forêt ardennaise noyée dans le brouillard. La photographie de Manu Dacosse plante le décor et vous enferme dès les premières minutes dans ce village d’Olloy. Vous êtes désormais prisonniers pendant deux heures.

Le décor est planté, vous savez d’ores et déjà que vous ne sortirez pas indemne de ce petit village où le secret règne, où la crise économique frappe et où un danger couve… Dans Trois jours et une vie, la tension est permanente jusqu’au drame et même au-delà. Un enfant a disparu, il est inutile d’en dire plus. Où est-il ? A-t-il été enlevé ? S’est-il perdu dans cette immense forêt ? Qui est coupable ? Vous le découvrirez bien assez tôt. Pourquoi en dire si peu ? Simplement, car le film propose une histoire habile où le plus important est de savoir comment s’échappera chacun des protagonistes.

Pour qui n’a pas eu le plaisir de lire le roman de Pierre Lemaître dont est adapté le scénario, ce sera un régal de cinéma noir. Pour les autres, ce sera un moyen de découvrir différemment l’histoire pour comprendre les choix effectués par l’auteur lui-même dans l’adaptation de son roman avec l’aide de Perrine Margaine. Pour la deuxième fois, après l’excellent Au revoir là-haut, adapté par Dupontel, Pierre Lemaître a les honneurs du cinéma. Après le film historique, place au film noir et à la tragédie. Dès le générique, on comprend qu’un drame bouleversera la vie de tout le village, mais ce drame est une tragédie grecque, voulue par les dieux. Il était écrit que tout allait se passer ainsi et que les conséquences seraient terribles, sans possibilité de sortie.

L’habileté du scénario plante un décor, installe chaque personnage avec ses secrets révélés au fur et à mesure jusqu’au final d’une logique implacable. Tout le monde cache quelque chose comme dans ce petit village comme dans ces bourgades du nord de la France ou de la Belgique dépeintes et croquées par l’écrivain Georges Simenon. D’ailleurs, le réalisateur, Nicolas Boukhrief ne s’en cache pas : le romancier belge est une référence. Ce dernier savait croquer à la perfection les mœurs de ces petits lieux isolés où tout le monde semble coupable, où tout le monde sait, mais ne dit rien. Le jeu des acteurs intervient dans cette ambiance tendue où chacun se soupçonne avec la présence de gueules de cinéma comme Charles Berling émouvant, Philippe Torreton inattendu, Sandrine Bonnaire en mère aimante et surtout les deux « Antoine » magnifiques. Le jeune Jérémy Senez est une révélation quant Pablo Pauly (qui l’interprète à l’âge adulte) prend une autre dimension. Tout en restant solaire, il épouse le rôle à la perfection pour interpréter ce jeune homme tourmenté qui n’apparaît qu’à la deuxième moitié du film. Un jeune homme devenu celui qui a réussi, l’espoir du village.

Un village où les secrets sont bien enfouis. Un village où les non-dits sont présents, les trahisons prêtes à exploser et où cet hiver 1999 joue un rôle incroyable. Si le village d’Olloy est un personnage à part entière, c’est parce qu’il est frappé par un monstre, une tragédie plus forte que tout : la fameuse tempête de 1999. Dès lors, l’histoire prend une tournure différente. Un destin unique pour peut-être transformer la tragédie en échappatoire… ou simplement en enfer. Sartre écrivait : « l’enfer c’est les autres ». L’enfer ici est ce village et ses habitants. Un enfer pour Antoine. Il se rêve un autre destin : devenir un notable et fuir cette vie pour changer d’air, un médecin exerçant ses qualités ailleurs qu’à Olloy. Échapper à la condition difficile de sa mère, devenir « quelqu’un ».

Nicolas Boukhrief réussit à appliquer les principes mis en place dans ses précédentes réalisations : une tension continue, un goût pour le secret, une scène spectaculaire indispensable, coincée entre rêve et réalité et surtout un talent de conteur incroyable. Si la qualité de l’adaptation du roman est à souligner, Nicolas Boukhrief réussit à insuffler son énergie et son talent de conteur pour faire sienne l’histoire écrite par un autre. On reconnaît sa patte, son écriture, sa façon de faire et surtout son envie, encore une fois, de magnifier les acteurs. Un casting à qui il laisse toute la place même si le village les enferme les étouffe. À tel point qu’on dirait que tous ont vécu là depuis des années… par moment, un petit accent belge pointe le bout de son nez dans certains dialogues. Sans doute est-ce simplement lié au fait que parmi les figurants se retrouvent de vrais habitants du village d’Olloy. Un film ancré dans une réalité folle et implacable d’où personne ne sortira indemne.

Trois jours et une vie est une adaptation remarquable du roman de Pierre Lemaître. Une œuvre noire et un film crépusculaire qui vous prend dans ses bras, vous enferme et vous tient en tenailles. Il n’y a aucune issue, la tension est permanente à la limite de l’étouffement. Un étouffement ressenti par chacun des personnages face à la tragédie qui se joue. Quand les notes du générique final, composé par Rob, résonne dans la salle, le spectateur comprend que Nicolas Boukhrief le laisse ressortir vivant de ce village. Il est libre mais il abandonne les habitants à leur triste sort, prisonniers pour toujours. « L’enfer, c’est les autres », mais heureusement, le spectateur peut s’en échapper, même s’il n’en sort pas indemne.


« Trois jours et une vie est une œuvre noire, un film crépusculaire qui vous prend dans ses bras, vous enferme et vous tient en tenailles. Il n’y a aucune issue, la tension est permanente à la limite de l’étouffement. »


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