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Quelques mots, sur ces œuvres que nous découvrons depuis le Québec ou la France, sur notre écran d'ordinateur ou dans notre salle de cinéma favorite.

The Lodge, puiser l’angoisse dans le réel

Synopsis : « Une jeune femme et ses beaux-enfants, réticents à son égard, se retrouvent coincés et isolés dans le chalet familial. Le sombre passé de la belle-mère refait surface… »


Les lumières de la salle de cinéma s’allument, tu te repositionnes sur ton siège pour avoir fière allure parce que la position “je m’installe comme à la maison” ce n’est pas trop ça, et là, ton ami(e) se retourne vers toi et te pose la question fatidique…

Découvert en 2015 à l’occasion de la sortie de la sortie dans nos salles de cinéma française du film Goodnight Mommy, le duo Severin Fiala et Veronika Franz nous laissait espéré de belles choses. Un film perfectible sur de nombreux points, mais qui, contrairement à ses homologues américains, réussissait à créer un malaise et à enrichir ce dernier, grâce à un scénario qui prenait un malin plaisir à créer un jeu de dupes entre le spectateur et les protagonistes. Qui sont réellement les méchants de l’histoire et que nous cache-t-on. Jouer la carte de la suggestion afin de faire grossir exponentiellement une tension jusqu’à un climax aussi justifiable que critiquable. Cinq ans après, le duo revient avec The Lodge, première incursion dans l’industrie américaine, Goodnight Mommy étant une production autrichienne, pays d’origine du duo à la tête des films. Malheureusement pour eux, si Goodnight Mommy avait su se frayer un chemin afin de voir le jour dans quelques salles de cinéma en France et sur le continent américain, ainsi que dans les colonnes de sites et journaux internationaux (notamment grâce à son passage au Festival international du film fantastique de Gérardmer), la pandémie actuelle a malheureusement poussé The Lodge à voir le jour en vidéo à la demande sur quelques catalogues américains et canadiens. Néanmoins, il aura eu une très belle vie en festival avec pas moins de 26 sélections en une année. Mais comme on le répète depuis quelques mois maintenant, qui dit vidéo à la demande, ne dit pas forcément, recyclage de fonds de tiroir de producteurs et distributeurs en demande. Bien au contraire lorsque l’on voit les divers articles que l’on a pu vous écrire à propos de films comme The Nightingale, Wendy, Gretel & Hansel, Pinocchio, The Assistant ou même Capone.

Alors que le cinéma d’horreur moderne connaît un nouvel essor depuis quelques années jusqu’à atteindre son pic de reconnaissance auprès du grand public en 2018 avec la sortie d’un certain Hereditary, de nombreux auteurs profitent de la brèche encore assez fraîche afin de faire preuve d’audace et/ou d’originalité. Jordan Peel (même si j’aime absolument aucune de ses productions), Andy Muschietti, David F. Sandberg‎, Mike Flanagan, Robert Eggers ou encore Jennifer Kent qui nous a gratifié d’un des meilleurs films de cette année 2020 avec The Nightingale. Une jolie gang de talents, discutables ou non, auquel l’on ajoutera évidemment un certain Trey Edward Shultz, qui avant de nous gratifier du mash-up A24 aussi désarçonnant que profondément ennuyant et énervant Waves, c’était révélé au grand public avec le film à ambiance It Comes At Night. Une expérience audiovisuelle particulière. Un huis clos qui prend tout son sens durant cette pandémie, puisque, puisant sa force dans sa manière de capter l’attention du spectateur par la création d’une ambiance et en jouant sur les expectations de ce dernier, alors qu’il ne se passe fondamentalement rien à l’image. Alors, concernant The Lodge : inspiré ou pas inspiré par le triomphal Hereditary ? Nouvelle expérience cinématographique telle que pouvait l’être It Comes At Night en son temps, aussi original soit-il sur bien des points, la première chose qui frappe est l’attrait pour, ce qui était une des très belles idées de mise en scène du film réalisé par Ari Aster. À savoir la maison de poupée.

Élément de mise en scène qui permettait de faire d’une des activités du personnage principal, un élément horrifique ayant un impact direct sur les personnages, mais également sur la manière de les percevoir de la part du spectateur (personnages manipulés tels de simples jouets par une toute autre entité), cette même maison de poupée devient ici un simple effet de style. L’élément de mise en scène représentatif de l’histoire ainsi que de la manière de filmer les personnages par le cinéaste, devient un simple gimmick dont la symbolique n’apporte absolument rien, mis à part une incohérence qui démontre que ça n’avait absolument rien à faire là. Si la ressemblance avec Hereditary se fait ressentir durant les premières minutes du film à cause de ce simple élément, The Lodge s’en émancipe très rapidement, prenant le large de l’horreur afin d’embrasser le film d’ambiance et le thriller psychologique. Loin de ces films d’horreur pop-corn justement qualifiés de montagnes russes horrifiques, The Lodge est un pur film d’ambiance qui tient le spectateur en haleine de la même manière que le duo de cinéaste pouvait le faire avec leur précédent long-métrage, Goodnight Mommy. S’il exploite les bases du film de maison hantée, le scénario écrit par le trio Severin Fiala, Veronika Franz et Sergio Casci s’en approprie les codes afin de servir une histoire originale. Originale, mais surtout, réaliste. Loin des mouvances surnaturelles grandiloquentes, le trio se fait un malin plaisir, et nous procure ce même plaisir, en jouant sur les expectations du spectateurs. Là où ce dernier s’attend à être surpris par un jump-scare bien crasseux, le scénario le surprend bel et bien, mais avec une action ou une réaction qui va faire avancer l’intrigue et directement impacter l’état psychologique des personnages.

Un scénario extrêmement malin, car reposant avant tout sur une histoire qui ne peut avoir lieue, ou être développée de cette manière, sans ses personnages. Là ou les fameux récents films d’horreur pop-corn américains nous racontent des histoires dont les personnages ne sont finalement que des victimes, de la chair à canon dont la caractérisation n’a que peut d’importance. Richard, Grace, Aiden et Mia (excellent casting porté par une Riley Keough aussi attachante qu’effrayante) font l’histoire et ne sont pas simplement des victimes anodines d’un phénomène paranormal expliqué en quelques lignes de dialogues… voire pas du tout. Si les différents crucifix présents, ainsi que la décoration épurée des décors principaux, tend dans un premier temps à craindre le film d’épouvante sur fond d’esprit vengeur, The Lodge nous dévoile de fil en aiguille un propos aussi dérangeant que superbement exploité, sur l’endoctrinement et les sectes qui détournent à leur avantage les textes de la Bible. Le catholicisme qui nous fait peur, qui nous dérange et nous énerve, car malheureusement réel et encore aujourd’hui bel et bien présent au cœur de notre société. Se servir des traumatismes qui hantent encore et toujours un des personnages afin d’enrichir l’histoire, de créer des rebondissements scénaristiques bien sentis et d’en jouer avec certains choix de mise en scène afin dissimuler de plus en plus la différence entre rêves et réalité. Encore une fois, jouer sur l’expectation du spectateur avec cohérence et originalité. Captivant et gratifiant.

Porté par un scénario malin loin des mouvances américaines modernes du genre, The Lodge est un film qui va également se servir avec assiduité de son environnement. Si chaque plan n’a pas la force d’imprégnation (par son mouvement, sa composition ou l’action présentée) d’un plan de Midsommar pour ne citer que lui, The Lodge développe une direction de la photographie qui cherche l’épuration. Un découpage extrêmement doux, qui va privilégier la durée à une exécution rapide, mais également le plan fixe au plan en mouvement. Une douceur agréable qui va renforcer l’angoisse palpable et le malaise qui ronge de plus en plus les personnages. Une photographie qui joue subtilement avec ses décors lunaires et le blanc immaculé de la neige avec d’amplifier cette sensation de douceur, tout en cherchant à créer de beaux plans (sans pour autant sombrer dans la stylisation outrancière) que significatifs. S’ils ne sont pas seuls, reclus dans un coin du cadre, perdus face à un décors pouvant au choix signifier l’espace et la liberté ou l’enfermement et l’angoisse, ils sont oppressés par une longue focale qui vient capter leurs réactions avec un gros plan accentué par une légère plongée. C’est simple, mais parlant et les visages superbement travaillé par la douceur du blanc de la neige omniprésente à l’extérieur. Des choix qui vont être bénéfique à l’oeuvre et au développement de son ambiance. Pesante et captivante, sans être pour autant effrayant. Créer une angoisse, faire sentir que réside une certaine anxiété au sein du groupe et la maintenir sur la durée, jusqu’à arriver à un final imprévisible. Severin Fiala et Veronika Franz progressent dans leur manière d’aborder l’horreur par le prisme, ou à cause, de la psychologie naïve et insouciante de l’adolescent. C’est malin, angoissant et joliment mené jusqu’à un duo de plans finals qui ne finira pas de hanter quelques mémoires.


Actuellement disponible en vidéo à la demande sur Apple TV, Amazon et Google Play (catalogue américain)

« Ne pas céder à la grandiloquence, l’extravagance et au paranormal. C’est en puisant son angoisse dans les traumatismes de ses personnages que The Lodge réussit à maintenir un mal-être palpable des plus angoissants. »


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