CinéCinéphile

Quelques mots, sur ces œuvres que nous découvrons depuis le Québec ou la France, sur notre écran d'ordinateur ou dans notre salle de cinéma favorite.

The Jesus Rolls, « Nobody Fucks With The Jesus » sauf John Turturro

Synopsis : « Jesus et Petey, sont deux malfrats, bien décidés à donner son premier orgasme à une jeune femme. Une ancienne « reprise de justice » se joint à eux. »


Les lumières de la salle de cinéma s’allument, tu te repositionnes sur ton siège pour avoir fière allure parce que la position “je m’installe comme à la maison” ce n’est pas trop ça, et là, ton ami(e) se retourne vers toi et te pose la question fatidique…

Sorti en France le 22 avril 1998, écrit et réalisé par le duo Ethan Coen et Joel Coen et mettant en scène un paresseux qui passe son temps à boire et à jouer au bowling, il n’aura pas fallût attendre son 35e anniversaire pour que le film The Big Lebowski s’implante dans la conscience collective de tout à chacun. Film culte, adulé à travers le monde (mais également détesté), The Big Lebowski est avant tout représentatif de la faculté dont dispose les Frères Coen afin d’écrire de beaux personnages. The Dude (incarné par le grand Jeff Bridges) est la concaténation du cinéma des Frères Coen. Un cinéma éclaté, qui ne se contente pas d’épuisé un genre, mais bien de raconter des histoires menées par des personnages. Des personnages authentiques, originaux, qui ont de la gueule et une manière d’être. Si le cinéma des Frères Coen est aussi beau, c’est grâce à cette caractérisation marquée, qui fait mouche et inculque du charme, à chacune de leurs productions. Des histoires vécues et racontées par des personnages. Ce que beaucoup de cinéastes et scénaristes ont tendance à oublier : des personnages.

Seul acteur estimant qu’une suite au film The Big Lebowski serait une belle idée, John Turturro prend les rennes et l’initiative de signer le scénario ainsi que la mise en scène d’un nouveau film. Suite ? Spin off ? Autant l’un que l’autre, le qualificatif le plus propice au film The Jesus Rolls serait prétexte. Avec ce nouveau film, l’acteur/cinéaste John Turturro mêle deux projets qui lui tenaient à cœur : le remake du film Les Valseuses et une suite à The Big Lebowski. Si le premier qualificatif qui nous viendrait serait inutile (autant le remake que la suite précédemment cités), il est bien plus intéressant de voir ça d’un point de vue ambition. L’ambition de reprendre un personnage issu d’un film iconique pour toute une génération, mais également l’ambition de réaliser le remake d’un film que l’on qualifierait aujourd’hui comme machiste, patriarcal et faisant l’apologie du viol. Ode à la liberté sous toutes ses coutures (par le prisme de la sexualité et du plaisir de manière plus générale), Les Valseuses est un film que l’on peut jugé de toutes les manières possibles et imaginables. Et ce, avec raison. Ce qui en fait une oeuvre unique, à part, représentative d’une époque qui n’est plus la nôtre.

Vouloir faire un remake au film de Bertrand Blier, c’est se heurter à une barrière infranchissable. Celle des scènes ou les corps étaient dénudés, ou il était question d’acte sexuel, ainsi que de provocations sexuelles. Une oeuvre qui mettait en valeur la liberté, ainsi que le corps de l’homme comme de la femme. Ce qui n’est aujourd’hui plus possible si l’on veut produire une oeuvre accessible. Ce que le cinéaste John Turturro a décidé de faire. Ce qui est indéniablement un mauvais choix. Emprunt de nostalgie, The Jesus Rolls est un film qui emprunte bien plus au cinéma d’antan et notamment au cinéma français des années 70/80, qu’au cinéma international actuel. Le découpage est minimaliste, le montage joue sur la durée de chacun des plans et le nombre de plans par séquence se compte sur les doigts de deux mains. Simple, mais pas simpliste. Aller à l’essentiel, poser la caméra en fonction des choix de mise en scène afin de pouvoir imager son histoire.

Soigner chaque plan, chaque composition en fonction des choix de mise en scène, ainsi que des décors. Ne pas céder à une stylisation à outrance, mais s’orienter vers un montage aéré, doux et léger. Retrouver cette légèreté, cette douceur et enivrante que l’on ressentait face au visionnage du film de Bertrand Blier. En résulte une oeuvre scolaire sur le plan formel (establishing shot puis champ/contre champ au besoin généralement), mais très agréable grâce à cette harmonie existante entre les choix de mise en scène, les compositions de plans, ainsi que la direction artistique. Les couleurs pastelles des vêtements, ce soleil peu agressif, les paysages colorés et aérés, des plans majoritairement fixes, des personnages lancinants… Une harmonie artistique et esthétique, enivrante, très agréable, pour une oeuvre qui n’est pas beaucoup plus.

Si le film Les Valseuses reposait sur le charisme de son casting, le film The Big Lebowski reposait sur la caractérisation des personnages en sus du charisme naturel de son casting. S’il se veut héritier des œuvres précédemment citées, The Jesus Rolls ne dispose ni d’un casting charismatique, ni de personnages intéressants. Si mémorable grâce à sa fougue et ses moments d’extravagance, Jesus (incarné par John Turturro), apparaît ici plus timoré, plus réfléchi, plus calme. Jesus va se transformer, disparaître pour (re)devenir Jesus Quintana. Un homme qui aime l’extravagance, qui aime s’amuser, mais qui a goût de liberté et de plaisir. Un personnage pris au piège entre l’identité construite par les Frères Coen et l’enivrance libertine du film de Bertrand Blier va laquelle John Turturro souhaite aller. Piégé par les envies du cinéaste, Jesus Quintana subsiste, mais demeure piégé, inconsistant, guidé et non libre d’évoluer au-delà de l’histoire qui nous est raconté. Contrainte majeure pour l’immersion du spectateur qui ne peut y croire et développer un lien émotionnel entre lui et les personnages. Car, s’il n’est pas seul, celles et ceux qui gravitent autour de lui n’ont aucun intérêt, aucun trait de personnalité intéressant et ne vont avoir aucune incidence sur le cours de l’histoire.

The Jesus Rolls souffre sur tous les plans de la comparaison avec Les Valseuses et The Big Lebowski. S’il s’affranchi du film des Frères Coen et offre au personnage de Jesus Quintana un développement des plus honorables, John Turturro s’enfonce dans un hommage étouffant au film de Bertrand Blier. Avec sa mise en scène insipide, qui manque d’entrain ou tout simplement d’idées originales, The Jesus Rolls souffre d’une comparaison que l’on ne peut occulter. Ne pas dénaturer la caractérisation première du personnage sans pour autant s’affranchir des inspirations premières qui forment au dessus de lui, une ombre opaque aussi imposante qu’opaque. On ne voit que l’inspiration, on ne cesse de revoir les idées de mise en scène de Bertrand Blier, mais sans cette irrévérence quasi inconsciente, qui faisait le charme et le sel du film français. Et ce n’est pas le cabotinage de l’actrice Audrey Tautou qui changera la donne. Cabotinage heureusement éclipsé par les délicieuses apparitions de Jon Hamm, Christopher Walken ou encore Susan Sarandon. Absolument radieuse et sublimée par le regard que lui porte John Turturro. The Jesus Rolls est un film qui a du charme, dont on reconnaît aisément les envies, mais qui n’a pas pour autant une identité qui lui est propre. Une oeuvre qui s’écroule sous le poids de ses inspirations.


Actuellement disponible en vidéo à la demande sur Apple TV catalogue canadien

« John Turturro n’a ni l’irrévérence de Bertrand Blier, ni l’intelligence d’écriture des Frères Coen. En résulte néanmoins une comédie absurde agréable, visuellement élégante et à la DA léchée. »

Au Suivant Poste

Précedent Poste

Poster un Commentaire

© 2024 CinéCinéphile

Thème par Anders Norén