CinéCinéphile

Quelques mots, sur ces œuvres que nous découvrons depuis le Québec ou la France, sur notre écran d'ordinateur ou dans notre salle de cinéma favorite.

Slender Man réalisé par Sylvain White [Sortie de Séance Cinéma]

Synopsis : « Un long métrage centré sur Slender Man, monstre créé sur Internet en 2009 et devenu une légende urbaine. »

Les lumières de la salle de cinéma s’allument, tu te repositionnes sur ton siège pour avoir fière allure parce que la position “je m’installe comme à la maison” ce n’est pas trop ça, et là, ton ami(e) se retourne vers toi et te pose la question fatidique…

Vous connaissez le mythe du Loup-Garou, du Vampire, du Yéti ou encore La Créature du Loch Ness et La Créature du Lac Memphrémagog ? Peut-être pas cette dernière si vous habitez hors du Québec, mais vous connaissez au moins les premières. Mais connaissez-vous le Slender Man ? Créé en 2009 sur le forum du site web Something Awful, le Slender Man sort tout droit de l’esprit d’un dénommé : Eric Knudsen. Son but : créer de toutes pièces un mythe effrayant et faire croire que ce dernier aurait réellement existé. Photos d’époque retouchées à l’appui, le Slender Man est rapidement devenu un phénomène viral auquel certain.e.s ont malheureusement cru. Deux Américaines ont, en 2014, donnés 19 coups de couteau à un de leurs amis soi-disant sous l’influence du Slender Man. Créature extrêmement grande, habillée d’un costard, la particularité du Slender Man est de n’avoir aucun visage. Ni bouche, ni yeux ou oreilles. Néanmoins, il est là, surveille les enfants afin de les emmener dans un endroit secret. Le Slender Man est une créature intéressante, car elle a été décrite et construite comme une créature qui ne bouge pas, ou tout du moins que l’on ne voit pas bougée, tout en étant omniprésente. Sur les photographies on la voit en arrière-plan, pas toujours cachée, mais immobile au loin dans son costume trois pièces. Éric Knudsen a été bon dans le sens où il a non pas créé une créature, mais bien une silhouette menaçante dont l’immobilité, mais l’omniprésence menaçante pousse à a paranoïa la plus sincère et oppressante. On entend un bruit, on ressent une présence, on croit qu’il y a quelqu’un qui nous observe, mais il n’y a personne. Ce peut-être le Slender Man.

Une création simple, mais pouvant être rationnelle grâce à cette même simplicité et créer une peur immense. La puissance de l’internet c’est rapidement emparé du Slender Man, faisant de lui un mythe à l’image d’une créature sortant de l’esprit d’un auteur amateur de fantastique tel Stephen King ou notamment un certain H.P. Lovecraft. Les films inspirés par le mythe du Slender Man se comptent aujourd’hui par centaines. Ce dernier a même déjà un jeu vidéo à son nom, mais c’est avant tout la web série Marble Hornets qui lui a rendu le plus beau des hommages. Série créée par Troy Wagner et qui compte aujourd’hui pas moins de 132 épisodes (plus de 8h de programme), raconte l’histoire de jeunes Américaines qui vont se retrouver attaqués par le Slender Man alors qu’il prépare le tournage d’un film. Tourné en found footage sans aucun budget (ou presque), la série a su capter l’essence du mythe grâce à ce même format. Certains épisodes durent 3 minutes, d’autres 40 secondes. Si certains épisodes ne montrent rien d’intéressant, d’autres sont terrifiants, grâce à l’utilisation astucieuse de ce qui représente le Slender Man. Une silhouette au loin, aucun son pendant tout l’épisode, un comportement peu habituel (donc sous le contrôle de la créature)… D’une simplicité folle, mais c’est ce qui fait l’efficacité du projet. Par ailleurs, le found footage et le non-budget renforcent le réalisme des scènes, offrant au mythe du Slender Man sa place dans notre monde. Voir un film d’épouvante titré Slender Man n’est donc en rien une surprise. Un tel mythe ne peut que donner envie à un cinéaste, auteur.rice, de se lancer dans la création d’un film d’épouvante dont la mise en scène chercherait donc à créer le stress et l’oppression provoquée par la créature en question. C’est le cinéaste français Sylvain White qui a décidé de s’y coller. A-t-il eu raison de le faire ?

« Le Justice League du cinéma d’épouvante, un film volontairement saccagé par son distributeur. »

Fondamentalement oui. Comme explicité auparavant, des centaines de films inspirés par le Slender Man ont déjà été faits, mais nombreuses sont les séries b peu inspirées et recyclant les unes après les autres les mêmes codes de mise en scène. Après le visionnage d’un film d’épouvante indépendant tel It Follows, on pense fortement à ce qui pourrait être fait avec le mythe du Slender Man. Jusqu’ici le film le plus réussi qui s’inspirait librement du mythe n’était autre que The Secret du français Pascal Laugier. S’il s’en détachait dans la seconde partie, il empruntait au mythe certains aspects intéressants (casser le mythe et prouver qu’il y a une dure réalité derrière quelque chose d’irrationnel). Financé par Sony Pictures Entertainement, Slender Man a bénéficié d’un budget assez confortable estimé à environ 10.000.000 de dollars. Pas énorme (pour une production américaine avec une grosse équipe technique), mais suffisant pour mettre en image un projet auteuriste dans l’âme. Sauf que la réalité est toute autre. 11% sur RottenTomatoes, 3/10 sur IMDB ou encore un Metascore qui s’élève à 29/100. Le film serait donc une catastrophe et… en effet s’en est une. Slender Man est un slasher movie conventionnel, prévisible et qui use des caractéristiques du Slender Man tel qu’on se servirait de n’importe quelle créature ou esprit irrationnel afin de faire peur le spectateur en amont de faire disparaître les personnages les uns après les autres. Qui est ce Slender Man ? Où emmène t-il les enfants ? Sont-ils réellement kidnappés ou sont-ils tués ? Est-ce que la folie de la part des jeunes ? Et finalement pourquoi regarder une vidéo invoque le Slender Man, c’est quoi cette connerie sortie tout droit de la licence The Ring ? Beaucoup de questions et aucune réponse que ce soit scénaristique où par le prisme de choix artistiques.

Un long-métrage d’une platitude extrême, car ressemblant à tous les autres du même genre malgré une direction de la photographie intéressante à plus d’un titre. Par moment sous-exposée, mais c’est cette même sous-exposition (non constante et seulement lors de scènes en forêt) qui va inculquer une once de stress aux scènes en question. Sans être exceptionnellement bien éclairé, Slender Man dispose de plans vraiment beaux avec des sources de lumière majoritairement judicieuses afin de rester dans quelque chose qui soit à la fois esthétiquement beau sans sombrer dans la fantasmagorie la plus pure. Le tout avec des plans qui prennent leur temps, inscrivant la silhouette du Slender Man dans le décor, a l’image de la série Marble Hornets. C’est peu fréquent, mais présent de temps à autre et ça fait son effet. Néanmoins on est bien loin de certains plans montrés dans la bande annonce et enlevés du montage final afin d’avoir un film PG-13 et à l’esthétique bien plus épurée et conventionnelle. Le tout avec quelques fulgurances de montage dotée d’un découpage plus frénétique et des plans plus marquants, forts et violents, esthétiques et fantasmagoriques pour le coup. Un parti pris qui fait du bien, qui apporte de l’intensité au cœur d’un film au rythme poseur. Sauf qu’au visionnage du film on comprend rapidement une chose : c’est une œuvre hésitante et impersonnelle. Film à ambiance d’un côté et œuvre horrifique populaire de l’autre. De ce fait, les effets putassiers du cinéma horrifique populaire viennent déconstruire l’ambiance que la mise en scène et la photographie cherchent à créer. Les deux aspects se confrontent, créant une œuvre finalement ennuyante, frustrante et pas effrayante.

Problème lié au scénario écrit par David Birke ou encore à des tentatives et ratés de la part du cinéaste Sylvain White ? Si le scénarii n’est peut-être pas le meilleur du monde et n’aurait dans tous les cas pas donné vie à un film majeur dans l’histoire du cinéma d’épouvante, le problème vient avant tout du conflit entre les producteurs et la firme américaine détentrice des droits et distributrice du film aux États-Unis. Si les premiers voyaient un certain potentiel au film, le distributeur voyait Slender Man telle une petite œuvre d’épouvante dans la veine d’une production Blumhouse Tilt (Upgrade et Unfriended : Dark Web). Ce qui n’est en soit pas une si mauvaise idée lorsqu’on voit la manière royale dont Blumhouse Tilt gère son calendrier de sorties et ses divers projets. Donc une sortie limitée sur peu d’écrans aux US, puis quelques festivals dédiés au genre et une sortie VoD/Vidéo. Un procès perdu plus tard, Sony Entertainment Pictures a délibérément détruit le film. Remonté à la truelle, les séquences les plus violentes du film ont été supprimées du montage final et ce dernier a été monté (image et son à base de mixage sonore putassier à l’extrême simplement pour créer quelques jump-scare qui n’ont pas lieu d’être) à l’image de n’importe quel film d’épouvante impersonnel. Au-delà du résultat final que l’on ne peut même pas juger comme étant le film que l’on aurait dû voir, on peut voir le désintérêt du distributeur envers le film dans sa campagne promotionnelle. Aucune image, aucune affiche mise à art l’affiche teaser (réalisée avant même l’entrée en post production de l’œuvre) affublé d’un simple Coming Soon. Une semaine après sa sortie estivale dans les salles américaines, Slender Man est déjà rentré dans ses frais. Sony Entertainment Pictures peut se réjouir, car ils n’ont donc pas perdu le moindre centime (voire en ont gagnés) et le film sera d’ici quelques jours ou semaines, oubliés par le monde du cinéma. Aucune sortie annoncée ailleurs dans le monde et il est improbable qu’il sorte ne serait-ce qu’en vidéo ailleurs qu’en Amérique.

Slender Man est un cas d’école. Un film dont le public ne saura jamais, à l’image d’un Justice League, à quoi ressemblait la vision du cinéaste à qui a été confié le script. Les similitudes avec le cas Justice League sont nombreuses. À commencer par ces fulgurances de mise en scène et quelques plans qui prennent aux tripes (distorsions visuelles dans la scène de la bibliothèque, plans subliminaux fantasmés…), à l’inverse du restant du film beaucoup trop conventionnel, didactique et tout simplement plat avec aucun parti pris artistique. À la revoyure de l’unique bande-annonce, on remarque que nombreuses sont les scènes non incluses au montage final. Toutes celles qui disposent d’une esthétique différentes, dévoilant un film qui aurait dû être bien plus psychologique, viscéral et fantasmagorique que celui que l’on peut voir. Certaines auraient même été reshootées afin d’obtenir le fameux PG-13 au lieu d’un Rated-R. On ne peut s’en prendre au réalisateur Sylvain White (dont le précédent film La Marque des Anges avait déjà été détruit par des problèmes de production) ou encore au directeur de la photographie Luca Del Puppo et aux technicien.ne.s qui ont oeuvré.e.s sur ce film. On sent que se cache derrière ce Slender Man quelque chose d’intéressant et de viscéral à l’image de ce que montre la bande-annonce, mais qui a par la suite été charcuté par des problèmes entre producteurs et avec le distributeur. Aux États-Unis, ce sont les producteurs qui ont tous les droits, qui ont le final cut. Voilà le résultat lorsqu’aucune entente n’est trouvée et que c’est le distributeur (extérieur au projet) qui a le mot de la fin. En résulte quelque chose de pas fini.


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