CinéCinéphile

Quelques mots, sur ces œuvres que nous découvrons depuis le Québec ou la France, sur notre écran d'ordinateur ou dans notre salle de cinéma favorite.

Sibyl, jeu de miroirs psychologique pour Virginie Efira


Synopsis : « Sibyl est une romancière reconvertie en psychanalyste. Rattrapée par le désir d’écrire, elle décide de quitter la plupart de ses patients. Alors qu’elle cherche l’inspiration, Margot, une jeune actrice en détresse, la supplie de la recevoir. En plein tournage, elle est enceinte de l’acteur principal… qui est en couple avec la réalisatrice du film. Tandis qu’elle lui expose son dilemme passionnel, Sibyl, fascinée, l’enregistre secrètement. La parole de sa patiente nourrit son roman et la replonge dans le tourbillon de son passé. Quand Margot implore Sibyl de la rejoindre à Stromboli pour la fin du tournage, tout s’accélère à une allure vertigineuse… »


Les lumières de la salle de cinéma s’allument, tu te repositionnes sur ton siège pour avoir fière allure parce que la position “je m’installe comme à la maison” ce n’est pas trop ça, et là, ton ami(e) se retourne vers toi et te pose la question fatidique…

Depuis Victoria en 2016, Justine Triet a offert au cinéma un nouveau visage de Virginie Efira. Celui d’une actrice a la palette impressionnante. Grâce à ce film, l’actrice belge prouvait qu’elle pouvait tout jouer et récoltait au passage une nomination aux César. Enfin ce film offrait aux deux femmes une reconnaissance cannoise méritée. Cette année, consécration, elles sont toutes les deux en compétition officielle (même si Virginie Efira en avait déjà connu les honneurs avec Elle de Paul Verhoeven).

Après les affres du métier d’avocat, l’actrice devient une psychanalyste sur le point d’abandonner son métier pour redevenir romancière. Au moment de céder sa patientèle, Sibyl reçoit l’appel d’une jeune femme en pleine nuit. À bout de nerfs, en larmes, la jeune Margot, comédienne, enceinte d’un acteur qu’elle ne peut aimer car en couple avec la réalisatrice du film dans lequel elle joue, lui demande l’aide. Pour Sibyl, la réponse est claire, elle n’accueillera pas de nouveau patient. Pourtant petit à petit, cette histoire l’intrigue et lui sert de trame pour son roman. Margot devient la muse de Sibyl, son inspiratrice. Elle a besoin de l’entourer.

Là où le scénario devient malin et habile, c’est que l’écriture joue avec le passé et le présent et les névroses de Virginie Efira. Puis au fur et à mesure avec les névroses de toutes les personnes gravitant autour de Sibyl. Justine Triet réussit à poser la question intéressante de la manipulation entre le docteur et son patient. Chaque personnage est trouble et troublant. Et bien que Sibyl semble avoir le contrôle, la résonance des malheurs de Margot la ramène à son propre passé.

Le scénario écrit par Justine Triet et Arthur Harari se joue des codes traditionnels du film psychologique pour amener des allers-retours avec le passé de Sibyl. En racontant le passé de l’héroïne, un éclairage étonnant apparaît sur la façon dont elle va gérer sa patiente et tenter de la sauver d’elle-même. Mais qui cherche-t-elle à sauver ? Les angoisses vécues par Margot, Sibyl les a déjà vécues : la grossesse non désirée, les choix amoureux compliqués, l’entourage nocif et toxique. Dans son nouveau film, Justine Triet s’amuse à créer un jeu de miroirs entre son héroïne et la jeune femme paumée en pleine crise de désespoir.

Jeu de miroirs déroutant puisque Sibyl se sert de Margot pour écrire son nouveau livre. Cette jeune femme la fascine malgré la distance qu’elle essaye d’imposer… une distance qui se réduit au point que la manipulatrice n’est plus celle que l’on croit. Et Sibyl plonge dans l’enfer des doutes et angoisses de Margot pour finalement se rendre sur le tournage du film de la jeune femme afin de la sauver mais aussi de sauver le film en cours. Un tournage où Sibyl sera prise à partie par l’acteur principal, Igor, séducteur impénitent, manipulateur et narcissique Mais aussi par Mika, qui tente de diriger le film bien qu’elle connaisse la nature du rapprochement entre son Igor et Margot. Dans le cadre de l’île du volcan de Stromboli, une sorte de bouffée d’oxygène arrive. C’est la sortie du cabinet anxiogène de la psychanalyste pour lui permettre de prendre enfin l’air… mais là sur le lieu du tournage, elle sera manipulée par tout le monde alors qu’elle tente d’éviter cela, qu’elle essaye de mettre les barrières nécessaires.

Le tournage du film amène justement Sibyl à prendre des décisions, à devenir la confidente au point de troubler le tournage et se troubler elle-même. Elle devient le pion dans le triangle amoureux composé par la réalisatrice, l’acteur et la jeune première. Pour réussir ce trouble, Justine Triet réunit un casting de qualité malgré quelques stéréotypes dans leur écriture. À commencer par Adèle Exarchopoulos qui interprète Margot. On pourra regretter de la voir composer un personnage proche de celui d’Adèle dans le film de Kechiche : toujours sur la corde raide, toujours en larmes ou en pleine hystérie… il n’y a que lors des dernières scènes où son visage se révèle enfin. À ses côtés, Gaspard Ulliel n’a jamais été aussi ambigu dans l’interprétation d’un acteur détestable et manipulateur. Et surtout, la bonne idée revient à l’intégration de Sandra Hüller en réalisatrice proche de la crise de nerfs qui tient pourtant bon. Les scènes de tournage sont d’ailleurs les plus fortes du film dont celle de la gifle assez jubilatoire montrant que les femmes ont le pouvoir.

Car Sibyl est aussi ce film où les femmes paraissent faibles mais prennent entièrement le pouvoir sur les hommes. Cela se ressent surtout lors des passages érotiques du film, des scènes crues mais jamais vulgaires, ni gratuites. Virginie Efira se met à nu dans tous les sens du terme avec ses partenaires au point de contrôler la façon dont elle fera l’amour et comment elle fera l’amour. C’est elle qui décide, qui commande… mais elle ne fait que commander l’acte car après l’ivresse de la relation sexuelle, vient le doute et la manipulation masculine. Niels Schneider interprète un personnage à l’opposé de celui qu’il interprétait, détestable, dans Un amour impossible de Catherine Corsini avec déjà Virginie Efira.

L’ascendant des femmes sur les homes se ressent également dans le couple composé par Sibyl et Étienne (qu’incarne Paul Hamy). Elle le domine et lui impose ses idées, il semble effacé. Ce n’est que lorsqu’elle replonge dans l’alcoolisme qu’il arrive à reposer le cadre les barrières. Enfin, il y a Laure Calamy, la soeur de Sibyl, totalement manipulatrice, complètement barrée et toxique dans la relation avec sa soeur. On sent poindre la jalousie d’une ratée envers une soeur à qui tout semble réussir.

Dans ce nouveau film, Justine Triet joue encore l’équilibriste entre les moments d’humour assez nombreux et le drame psychologique où le spectateur se triture les méninges. La question étant de comprendre les raisons de cet abandon de Sibyl aux méandres de la folie de Margot. Cherche-t-elle uniquement à écrire et finir son roman avec la vie de la jeune fille ou tente-t-elle de vivre par procuration une histoire qui ne lui appartient pas ? Et quand la psychanalyste-romancière revient à la réalité et à sa vie, le film entre dans un moment de flottement pour une conclusion un peu laborieuse où l’héroïne semble reprendre sa vie en mains en mélangeant réalité et fiction. Sibyl est une histoire troublante mais inaboutie, rehaussée par l’interprétation impeccable et sans faille de Virginie Efira. Encore une fois, elle est impériale !

Avertissement : des scènes, des propos ou des images peuvent heurter la sensibilité des spectateurs

« Sibyl est aussi ce film où les femmes paraissent faibles mais prennent entièrement le pouvoir sur les hommes. »


Au Suivant Poste

Précedent Poste

Poster un Commentaire

© 2024 CinéCinéphile

Thème par Anders Norén