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Quelques mots, sur ces œuvres que nous découvrons depuis le Québec ou la France, sur notre écran d'ordinateur ou dans notre salle de cinéma favorite.

Marvin ou la belle éducation réalisé par Anne Fontaine [Sortie de Séance Cinéma]

Synopsis : « Martin Clément, né Marvin Bijou, a fui. Il a fui son petit village des Vosges. Il a fui sa famille, la tyrannie de son père, la résignation de sa mère. Il a fui l’intolérance et le rejet, les brimades auxquelles l’exposait tout ce qui faisait de lui un garçon «différent». Envers et contre tout, il s’est quand même trouvé des alliés. D’abord, Madeleine Clément, la principale du collège qui lui a fait découvrir le théâtre, et dont il empruntera le nom pour symbole de son salut. Et puis Abel Pinto, le modèle bienveillant qui l’encouragera à raconter sur scène toute son histoire.
Marvin devenu Martin va prendre tous les risques pour créer ce spectacle qui, au-delà du succès, achèvera de le transformer. »


Les lumières de la salle de cinéma s’allument, tu te repositionnes sur ton siège pour avoir fière allure parce que la position « je m’installe comme à la maison » ce n’est pas trop ça, et là, ton ami(e) se retourne vers toi et te pose la question fatidique…

Forcément la question va se poser: Anne Fontaine a-t-elle repris tout ou partie du roman d’Edouard Louis qui fit sensation à sa sortie, En finir avec Eddy Bellegueule ? La question se pose puisque le livre aurait dû être adapté par André Téchiné, le réalisateur des tourments de l’adolescence. Cependant, pour des raisons inconnues, cela ne s’est pas fait. La réalisatrice s’est emparée du livre avec l’envie de raconter ce qui se passe après… tout en n’évitant pas la partie de l’enfance de Marvin-Edouard. L’adaptation est devenue plus libre permettant quelques passerelles entre le livre et la nouvelle histoire coécrite avec Pierre Trividic. Ils livrent un récit poignant sur la possibilité de se sortir de sa condition même si la façon dont on est élevé reste bien prégnante. Les cicatrices sont là et parfois elles sont à vif.

La trame reprend l’idée du livre écrit par Edouard Louis : un enfant insulté, décrié, isolé parce qu’il est différent. « Pédé, salope et petite pute », tels sont les qualificatifs pour définir le jeune Marvin Bijou (interprété par Jules Porier étonnant et investi d’un rôle difficile). Il n’a aucun moyen d’être entendu, ne peut se confier. Il subit en silence les sévices des collégiens et les brimades de son grand-frère face à des parents démunis. Puis l’on découvre Marvin devenu Martin à Paris. Il est acteur, ouvert à la vie et à sa sexualité. Il est devenu l’homme qui était étouffé. Ce film raconte cela une renaissance pour enfin être celui que l’on n’a jamais pu. Après le magnifique Les Innocentes, Anne Fontaine revient dans le temps présent pour filmer ses personnages à Belfort (et non en Picardie comme dans le livre « pour se distinguer des nombreux films réalisés dans le nord de la France qui traitent de la précarité sociale »). Elle choisit un milieu rural, isolé où les enfants sont durs entre eux et où la famille de Marvin est limite… mais pourtant jamais, jamais, la réalisatrice ne pousse au jugement envers cette famille. La raison est l’émergence dans cette dernière de moments de violence qui expliquent la dureté de la vie et l’absence de sentiments… parce qu’il est compliqué de dire que l’on s’aime dans cette famille.

L’isolement de Marvin l’amène vers le théâtre qui l’ouvre aux rencontres. Celles-ci lui apprennent qu’il a le droit d’être lui simplement. En construisant son récit avec des flash-backs habiles, Anne Fontaine place Finnegan Oledfield au centre de tous les univers. Tel un chat, l’acteur se glisse dans la peau de ce personnage qui change de vie, de lieu et épouse les mondes qui s’offrent à lui tout en restant effacé cependant… il ne faut pas déranger. La puissance qui se dégage de ce corps malmené s’opère à l’écran dans ce récit initiatique où l’enfance de Marvin croise la vie adulte de Martin. Où la dureté et la violence sont pourtant toujours présentes alors qu’il commence à être aimé. Le film pose aussi la question des origines, de la frontière qui se crée entre les mondes et de la difficulté de vivre sa différence dans un monde qui ne la reconnaît pas. Entourant le corps sans cesse en mouvement de Finnegan de beaucoup de bienveillance, on retrouve Charles Berling (talentueux) et Isabelle Huppert dans son propre rôle mais qui s’efface derrière elle-même. La jeunesse de Marvin est balottée entre une principale d’établissement au grand coeur, impeccable Catherine Mouchet et un père rustre, Grégory Gadebois épatant. Et surtout il y a Vincent Macaigne, l’alter ego de Martin qui est passé par les mêmes épreuves. Il prouve la puissance de son jeu et manie les mots avec poésie, douleur et tendresse.

En résumé, sans cesse sur le fil du rasoir, le film évite pourtant le pathos d’un Est marqué par le chômage. Anne Fontaine réussit le pari de récrire l’histoire d’Eddy Bellegueule. Elle s’intéresse à ce qu’il est devenu une fois adulte, en n’occultant nullement son enfance. La réalisatrice marie avec habileté les tourments de l’adolescence au réel d’une vie assumée. Un film qui doit beaucoup à ses deux « Bijou » que sont Finnegan Oldefield et le jeune Jules Porier.

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