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Quelques mots, sur ces œuvres que nous découvrons depuis le Québec ou la France, sur notre écran d'ordinateur ou dans notre salle de cinéma favorite.

Marriage Story, fable amoureuse bouleversante derrière les lignes de Noah Baumbach

Synopsis : « Un metteur en scène et sa femme, comédienne, se débattent dans un divorce exténuant qui les pousse à des extrêmes… »

Les lumières de la salle de cinéma s’allument, tu te repositionnes sur ton siège pour avoir fière allure parce que la position “je m’installe comme à la maison” ce n’est pas trop ça, et là, ton ami(e) se retourne vers toi et te pose la question fatidique…

Réalisateur prolifique, Noah Baumbach est de ceux qui évoluent au fil des saisons et gagnent en maturité au grès de leur avancé dans l’âge. Après avoir traité du passage de l’adolescence à l’âge adulte à de nombreuses reprises, le cinéaste représentatif de ce que l’on nommera le « mumblecore auteuriste » et non nihiliste, car cherchant à parler d’une généralité par le prisme d’une vision, s’attaque une à une aux autres étapes de la vie. De l’adolescence à la vie en couple et plus précisément la vie de famille. Obnubilé par l’être humain et ses nombreux tourments qui le travaillent jour après jour, partent et viennent au grès des saisons, Noah Baumbach signe des œuvres dont la structure même du récit va tourner autour d’un personnage ou d’un duo de personnages. S’il a tendance à s’éparpiller en donnant bien trop d’importance à des personnages secondaires au détriment du (des) personnage(s) principal (aux), le cinéaste américain a su briller et nous bouleverser avec des œuvres bien plus harmonieuses. Frances Ha en tête, son chef-d’œuvre représentatif de ce cinéma qui lui est propre. Œuvre harmonieuse, tant vis-à-vis du ton recherché dans chacune des séquences, que dans l’importance des personnages principaux comme secondaires. Marriage Story, l’œuvre de la maturité ?

Mouvance cinématographique qui caractérise et permet de cataloguer des œuvres auteuristes dites fauchées et majoritairement réalisées avec des acteurs amateurs, le Mumblecore est aujourd’hui une mouvance de moins en moins visible au cinéma. Beaucoup de facteurs font qu’il est aujourd’hui quasiment impossible de réaliser, et plus concrètement de diffuser au public une œuvre dite fauchée. Ce qui était majoritairement dans le courant du XXe, est aujourd’hui extrêmement rare, même si certains cinéastes réussissent le tour de force à se voir propulser sous le feu des projecteurs. Barry Jenkins en est le parfait exemple, même s’il est un exemple tout aussi contestable que ne peut l’être Noah Baumbach. Le cinéma de Noah Baumbach est un cinéma qui baigne dans cette mouvance. C’est un cinéma qui se veut être au plus proche de la réalité. Un cinéma qui ne va pas afficher une production expansive à l’image. Un cinéma qui met en scène des moments de la vie et avec un style visuel qui ne cherche aucunement à styliser des personnages, situations ou décors. La vie la vraie par Noah Baumbach. Un cinéma qui se veut apparaître comme naturaliste, mais qui demeure de la fiction, une pure mise en scène telle que Martin Scorsese le fait aujourd’hui, ou même John Cassavetes pouvait le faire de son temps pour les prendre en guise d’exemple. Citer Scorsese dans un premier temps, c’est démontrer l’implication de la plateforme de streaming légale Netflix dans le développement d’un business artistique, qui sans elle à l’heure actuelle, nous ne pourrions voir des œuvres contemporaines telles que The Irishman ou Marriage Story. Citer Cassavetes dans un second temps, c’est expliciter que s’il conserve cette bienveillance presque enfantine et naïve qui lui va si bien, Noah Baumbach développe une forme de maturité dans sa manière de mettre en image ses personnages. Toujours être au service des personnages et non au détriment de.

Par le prisme de ce moment douloureux qu’est celui du divorce, Noah Baumbach signe un film sur l’amour. L’amour sous toutes ses formes. Un amour sur le déclin, mais résistant, malgré la manipulation de celles et ceux qui vont s’en servir pour s’enrichir. Un attachement inexplicable et intemporel entre deux personnages qui malgré tout vont en venir à se détester à cause de celles et ceux qui se mettront sur leur chemin : les avocats. Des personnages secondaires qui vont être traités comme tels, qui ne vont jamais empiéter sur la partition des personnages principaux, mais apporter une touche d’humour fortement appréciable. Si le drame est l’émotion prépondérante, Marriage Story est sans conteste l’œuvre la plus drôle du cinéaste. Il se sert avec astuce et malice des avocats afin de livrer une satire de ce business qui s’enrichit sur le malheur des principaux concernés. Tout en délivrant de manière sous-jacente un propos aussi concret que logique sur le métier en question, le cinéaste cumule les scènes toutes plus hilarantes les unes que les autres, jouant d’un côté sur les incompréhensions du couple et de l’autre les manigances et manipulations, à la l’ornière de la mise en scène théâtrale, des avocats. C’est superbement écrit, jonglant de manière harmonieuse et naturelle entre un panel d’émotion qui n’a jamais été aussi large dans le cinéma de Noah Baumbach. Du rire aux larmes avec un naturel déconcertant et une réelle aisance dans la manière de créer un lien entre le spectateur et des personnages aux backgrounds dispendieux. Ressentir cette impression qu’ils vivent, qu’ils ont du vécu, qu’ils existent est un plus considérable afin d’immerger avec immédiateté le spectateur auprès des personnages et faire ressentir à tous et toutes cette même palette d’émotions.

Plus qu’à l’accoutumée, Noah Baumbach s’efface. Si sa mise en scène se fait efficace, car très dynamique afin que les personnages soient toujours en mouvement, à la limite de l’hyperactivité, sa réalisation se fait extrêmement discrète. Une réalisation simple et sommaire, mais jamais simpliste, dont la simple et pure volonté est de transcrire au mieux à par l’image les interprétations. Des interprétations bouleversantes. D’une subtilité et d’un naturel déconcertant, pouvant à la fois aller chercher une étincelle amoureuse dans le regard, mais également une haine considérable et dévastatrice. Adam Driver et Scarlett Johansson livrent de grandes et belles interprétations, délivrant le plus beau des hommages à des dialogues ciselés, justes et à la répartie impeccable sur une durée de plus de près de 2h15. Un ping-pong verbal incessant, mais jamais redondant ou même agaçant. Une véritable prouesse scénaristique, alors que fondamentalement l’histoire est extrêmement simple. Comme quoi, une fois n’est pas coutume, un scénario ce n’est pas qu’une histoire, c’est également des mises en situation, des personnages, des dialogues et les premiers indices sur la direction d’acteur.rice.s.

Superbement écrit et interprété, Marriage Story est assurément ce renouveau que l’on espérait de la part d’un cinéaste comme Noah Baumbach. Un renouveau qui malheureusement aurait pu être parfait si son traitement visuel avait suivi. Si son ratio de 1.66:1 lui si à merveille, c’est finalement le choix du 35 mm qui lui est préjudiciable, ainsi que les choix colorimétriques qui s’en suivent. Un 35 mm transformé en digital pour les besoins d’une diffusion sur Netflix, qui perd toute la saveur de la pellicule, malgré quelques légères impuretés ici et là. Une saveur que le metteur en scène va chercher et appuyer par la colorimétrie en appuyant notamment sur le jaune lors des séquences qui prennent place à Los Angeles. Manière de marquer la séparation entre les deux villes, entre les deux personnages. Idée louable pour un résultat qui oscille entre laideur et mauvais goût. Si tourner le film en super 16 tout en conservant l’esprit Mumblecore via le noir et blanc lui aurait certainement permis de bâtir une oeuvre aussi intemporelle sur le plan technique que dans son propos, ce choix colorimétrique et du numérique lui enlève toute singularité possible. En plus de ce retrouver avec des séquences où le blanc n’existe pas, remplacé par un blanc cassé absolument affreux. Un détail artistique qui, pour nous en l’occurrence, nous empêche de crier au chef d’oeuvre, alors que le cinéaste avait entre les mains la matière à en signer un second.


« Fable amoureuse d’une harmonie émotionnelle incroyable où la technique s’efface pour laisser place à des dialogues saisissants de naturel et des interprétations absolument bouleversantes. » 


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