CinéCinéphile

Quelques mots, sur ces œuvres que nous découvrons depuis le Québec ou la France, sur notre écran d'ordinateur ou dans notre salle de cinéma favorite.

Mafia inc, Podz à la conquête d’un territoire contrôlé avec un vrai film de gangster

Synopsis : « Les Gamache, tailleurs de père en fils, habillent la famille mafieuse Paternò depuis trois générations. Leurs enfants sont issus du même quartier, des mêmes écoles. Vincent « Vince » Gamache travaille pour le compte du parrain Frank Paternò et de son fils aîné Giaco, alors que sa soeur Sofie fréquente Patrizio, le cadet de la famille Paternò. Vince, téméraire et impétueux, monte un grand coup pour impressionner le parrain, attisant la jalousie de Giaco. La guerre éclate. Tous doivent choisir leur camp, Paternò ou Gamache. D’un côté comme de l’autre, il y a un prix à payer. Un prix colossal… »

Les lumières de la salle de cinéma s’allument, tu te repositionnes sur ton siège pour avoir fière allure parce que la position “je m’installe comme à la maison” ce n’est pas trop ça, et là, ton ami(e) se retourne vers toi et te pose la question fatidique…

Le film de mafia, beaucoup s’y sont confrontés, peu sont restés. Il est un genre à part entière, un genre qui, contrairement aux autres, repose avant tout sur un archétype bien précis et se voit fondamentalement confronter à des références. Plus que des références, des films qui ont marqué les mémoires. Des films dont la simple prononciation du titre fait résonner en chacun de nous un souvenir marquant. Un nom de personnage, un acteur, une actrice, un dialogue, une interprétation, une image, une séquence, une idée de mise en scène ou de réalisation. Faire un film de mafia c’est se heurter à une confrontation déloyale, c’est se heurter à un pan du cinéma plus communément appelé The Godfather. Fresque monumentale à la richesse abyssale, tant pour l’œil d’un cinéphile aguerri que pour le grand public, si l’on peut ne pas aimer, il est difficile (impossible ?) de contredire celui qui ose déclamer que ce n’est pas qu’un film. Une trilogie qui a marqué des générations entières de spectateurs ; une trilogie qui a influencé –volontairement ou involontairement- des générations entières de cinéastes ; une trilogie qui a fondée, et/ou mis en exergue, l’archétype même de ce qu’est devenu le film de mafia. Si du côté américain on retiendra Martin Scorsese, Brian de Palma ou encore Sergio Leone, avec à leur tête des œuvres qui ont permis au genre de se développer et au spectateur d’y prendre goût tout en conservant dans un coin de sa tête, des idées et images de la trilogie de Francis Ford Coppola, il faut partir vers l’Europe et plus précisément l’Italie pour trouver la relève moderne. De Marco Bellocchio à Stefano Sollima, la relève est italienne, là où du côté de l’Amérique, difficile de trouver celui ou celle qui saura donner un peu de sang neuf à un genre qui en a bien besoin. On n’omettra évidemment pas la grande période française (avec à sa tête le cinéaste Henri Verneuil), qui précédait la sortie des films de Francis Ford Coppola. Aujourd’hui, le film de mafia ronronne et se cantonne à refaire ce que d’autres ont déjà fait.

Adaptation du roman co-écrit par André Noël et André Cédilot, Mafia inc est avant tout une prise de risque. Le réveil d’un cinéma qui n’a jamais osé produire une telle œuvre. Si son box-office est dominé par des comédies populaires très grand public, le cinéma québécois est à l’image du cinéma de n’importe quel pays lorsque l’on y prête vraiment attention. Il est d’une belle richesse et d’une diversité qui fait plaisir à voir. On y trouve évidemment de la comédie populaire, en abondance et éminemment régressive pour ne pas dire agaçante. Mais on y trouve également de belles prises de risques de la part de cinéastes émérites souvent très jeunes. De Il Pleuvait des Oiseaux à La Grande Noirceur en passant par C.R.A.Z.Y, Le Règne de la Beauté et sans oublier les très récents Réservoir, Le Rire, Jeune Juliette, Charlotte a du Fun… des films qui osent, des films qui racontent de belles histoires, des films inspirés et inspirant même si perfectibles. S’il n’est pas comparable au cinéma français et américain (qui ont bien plus de moyens), il est un cinéma développé par de beaux talents dans tous les domaines qui permettent aux films de prendre vie. Mafia inc, c’est un coup de poker de la part de Films Séville, ainsi que des sociétés de production Attraction Images et Caramel Films. 7 à 8 ans de développement pour accoucher d’une œuvre perfectible, mais d’une œuvre qui donne le sourire.

Prenant place en 1990 en plein Montréal, Mafia inc raconte l’histoire de deux familles qui, malgré une amitié respective soudée par des fiançailles, vont par la force des choses devoir se séparer afin de laver leur nom et leur honneur. L’on est en terrain connu. Laver son honneur, conserver la tête haute malgré tout et ne jamais céder face à l’autre, même s’il nous est cher. Le lien du sang plus fort que tout. S’il est un film de mafia dans les grandes lignes, Mafia inc réussit néanmoins à surprendre grâce à son large panel de personnages, tiraillés entre honneur familial et envies personnelles. Une histoire qui repose sur l’archétype même du film de mafia (laver son nom et son honneur une nouvelle fois), mais qui développe de fil en aiguille une opposition générationnelle et une nouvelle manière d’agir par ses personnages. Se développe de cette manière en interne, une volonté de mettre en évidence une nouvelle manière d’agir et de réfléchir, sans pour autant orienter l’histoire autour du conflit générationnel. Démontrer qu’ils ont tous et toutes un honneur. Une réflexion et une manière d’agir propre à chacun, mais souvent liée à la génération auquel ils appartiennent. La sagesse (les aînés) face à l’imprévisible (la jeunesse). Tel fondamentalement ce que le metteur en scène (Podz ndlr) et le scénariste (Sylvain Guy ndlr) tentent de faire chacun à leur niveau avec le film dans sa globalité. Exploiter une ville recette, sans pour autant refaire exactement la même chose. Une belle plume, permet au film de sortir des archétypes propres au film de mafia et ne pas être réduit qu’à ça. Sylvain Guy, scénariste de talent qui offre à chacun de ses personnages un background, ainsi qu’une mise en lumière habilement captée par un metteur en scène qui met du cœur à l’ouvrage.

Par sa mise en scène et sa direction d’acteur.rice, Podz de son côté, cherche à créer la confusion dans l’esprit du spectateur. L’échauffer sans arrêt. Faire en sorte d’effacer tout semblant de manichéisme et bien faire comprendre que tout à chacun comporte en lui ou elle une part de bon comme de mauvais. Ils ont un code d’honneur qui leur est propre. C’est par des idées de mise en scène qu’il va créer la confusion et faire comprendre que derrière chaque stéréotype qui représente quelque chose dans l’imaginaire collectif, se cache finalement une âme. Une âme qui a un code d’honneur et qui n’est pas forcément le même que celui de son frère de sang. Ne pas jouer avec les stéréotypes, mais les caractériser de manière à ce que le spectateur puisse croire en ce qu’il voit et prenne du plaisir. Donner de la crédibilité à l’action, inculquer une sensibilité artistique par la stylisation de certaines actions qui vont être lourdes de sens et de conséquences, et par conséquent, offrir aux spectateurs un spectacle ponctué de beaux moments de cinéma. De moments qui marquent (scènes de torture et fusillades) et de moments divertissants (envolées musicales pop et rythmée avec une mise en scène bien plus pêchue). Ça passe par une direction de la photographie soignée qui alterne judicieusement entre plans fixes et caméra portée et une direction artistique d’une belle richesse. Aller chercher de l’authenticité par les accessoires, les costumes, les décors et les couleurs. On y croit, c’est beau et jamais « cheap » à l’image. Une production qui n’a rien à envier à ses confrères américains malgré un budget bien moindre. Podz met du cœur à l’ouvrage et cherche autant à impliquer le spectateur dans l’action qu’à chercher la stylisation pour offrir aux spectateurs un beau film de divertissement.

Faire du neuf avec du vieux. S’il ne réinvente rien, cite ouvertement et souffre de la comparaison avec ses les grands du genre, Mafia inc est une oeuvre qui réussit à ne pas suffoquer sous le poids d’un genre bien installé, pour ne pas dire inattaquable. Une mise en scène qui ne manque pas d’impact (même si elle manque par moment d’audace et de créativité), une direction d’acteur et d’actrice qui dénote à aucun moment et une production value de qualité qui permet au film de gagner en authenticité. On y croît. Et là est certainement la plus belle chose pour un film d’époque, pour un film de gangster qui n’est pas une production à 50 millions de dollars ou plus. Un beau film, porté par un casting de grand talent, Marc-André Grondin en tête qui trouve ici son rôle le plus complet. Aussi attachant qu’effrayant, l’incarnation même du film par le prisme d’un arc narratif sur lequel repose tout autant l’histoire du film, que les différentes actions qui vont pousser les personnages secondaires à se révéler, à gagner en caractère. Un beau personnage, un personnage que l’on sent authentique, car tout aussi manipulateur que sincère grâce à une interprétation incarnée. Si le reste du casting n’est pas en reste, Marc-André Grondin s’amuse, donne du cœur à l’ouvrage et vole le show pour le plus grand plaisir du spectateur, mais également d’un metteur en scène qui en prend considération, lui offrant de beaux moments de cinéma. Mafia inc, un projet qui aurait pu être achevé par son ambition démesurée, mais qui s’en sort avec les honneurs. Un vrai beau film de gangster tenu à bout de bras par un cinéaste qui ne se censure pas et une équipe de grands talents, tant devant que derrière la caméra.

« S’il croule sous les lourds archétypes propres au film de mafia, Mafia Inc surprend et emporte par son authenticité et une crédibilité insoupçonnée pour une production québécoise. Superbement incarné, rondement dirigé et découpé par Podz et ponctué de beaux morceaux de cinéma. » 


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