CinéCinéphile

Quelques mots, sur ces œuvres que nous découvrons depuis le Québec ou la France, sur notre écran d'ordinateur ou dans notre salle de cinéma favorite.

Lucy in the Sky, introspection humaine par le prisme de l’image et du son

Synopsis : « Une astronaute revient d’une mission spatiale et a du mal à retrouver sa vie et son apparent parfait rêve américain. »


Les lumières de la salle de cinéma s’allument, tu te repositionnes sur ton siège pour avoir fière allure parce que la position “je m’installe comme à la maison” ce n’est pas trop ça, et là, ton ami(e) se retourne vers toi et te pose la question fatidique…

On en parle fréquemment, mais le cinéma (pour ne pas dire l’art de manière générale) c’est avant tout une question de sensibilité. Si untel aime ce film, mais pas vous, ce n’est pas parce que le film est mauvais. C’est simplement parce que vous n’avez pas le même bagage culturel ni même la même sensibilité. Sensibilité qui peut permettre de voir et de conceptualiser des éléments que d’autres n’imagineraient pas. « Une fois le film sorti je ne contrôle plus rien et chacun peut y voir ce qu’il veut. » Cette phrase prononcée par le cinéaste Fabrice du Welz lors de notre récente rencontre résume parfaitement notre pensée. Ce vers quoi l’on tente de tendre. Chaque spectateur est unique et pour savoir si un film nous plaît ou non, il faut toujours se lancer. Le visionner et se faire sa propre opinion qui a de fortes chances de ne pas être la même que celle de telle ou telle critique, spécialiste ou non. Le cas récent du film réalisé par Ang Lee, Gemini Man répond parfaitement à cette problématique. S’il est en surface un blockbuster nanardesque au possible, il est en fait pour moi un blockbuster auteuriste qui se sert d’une nouvelle technologie (son fameux high bit rate à 120 images par seconde) pour dépoussiérer un genre et ajouter à son arc plusieurs sous-textes à un scénario à la façade insipide et éculée. Plonger et découvrir la face immergée de l’iceberg. Plonger aux côtés du cinéaste afin de comprendre ce qu’il a pu possiblement vouloir dire tout en prenant conscience de pouvoir tomber dans la suranalyse gratuite. Et finalement pourquoi pas, si cette suranalyse peut vous permettre de défendre une œuvre qui vous a procurée de belles sensations ?

Lucy in the Sky, premier long-métrage pour le déjà confirmée Noah Hawley a qui l’on doit la création de séries qui ont compté ces dernières années comme Fargo et Legion. Si la première était aussi efficace que classique, c’est avec la seconde qu’il s’est fait un nom et a su démontrer l’étendue de sa folie. Une folie créative, originale et débordante d’énergie. Se servir de la technique, de l’image et du son afin de transporter le spectateur au cœur même des émotions intériorisées par le personnage principal. Voir ce cinéaste débarquer avec un long-métrage c’est vouloir retrouver cette même patte artistique singulière au sein d’un long-métrage et non d’une série. Ce qui laissa bons nombre de spectateurs sur le bord de la route. Défoncé par la critique lors de son passage au TIFF puis lors de sa sortie dans quelques salles américaines et nord-américaines, Lucy in the Sky est ce que l’on appelle un rendez-vous manqué. Rendez-vous manqué avec un cinéaste de talent pour celles et ceux qui ne cherchent aucunement à se demander : « pourquoi je n’arrive pas à comprendre ce que l’on me montre ». Lorsque l’on ne comprend pas, lorsque l’on se sent attaqué, l’on se met sur la défensive. Réaction humaine de protection afin de ne pas se laisser ensevelir et dépasser par les événements. Noah Hawley conçoit son œuvre artistique non pas pour plaire au spectateur, mais pour lui faire ressentir des émotions. Ce qui est montré à l’image, ce qu’il met en place va perturber la possibilité d’immersion du spectateur.

Difficile de pouvoir s’identifier au personnage, lorsque l’on n’est pas à l’aise face à l’œuvre. Non pas parce que le cinéaste montre des choses dégoûtantes ou déconcertantes, mais parce qu’il opère tel un technicien dont le but est de bâtir une œuvre dont chaque plan, chaque séquence va être à l’image du ressenti intérieur du personnage. Ne pas chercher la complaisance juste pour que le spectateur rechausse ses chaussons et se laisse porter par une œuvre conventionnelle, mais divertissante. Accrochez-vous, le voyage en vaut la peine. Trois films en un, plusieurs manières de filmer l’action et donc plusieurs formats d’images. Passer du 1.33:1 (pour les moments intimistes) au 1.85:1 (pour les moments de respiration) puis au 2.39:1 (pour les moments plus intenses) en quelques minutes est déstabilisant. On pense évidemment à l’événement manqué Transformers : Last Knight et ses neuf formats d’image différents, pouvant passer de l’un à l’autre en un simple champ/contre champ. La ressemblance s’arrête là, puisqu’ici ce changement de format a du sens. Une signification tout autant intra-diégétique (liée à l’histoire) qu’extra-diégétique (liée à la technique donc hors du contexte de l’histoire). Les deux étant liées. Pur technicien dans l’âme, Noah Hawley va jongler entre les objectifs suivant sa mise en scène et ce qu’il a à raconter. Choisir comme format d’image le 2.35 ou le 4/3, est un choix artistique qui doit être pensé en amont afin que cela puisse servir le récit. Il faut également que la mise en scène soit adaptée à ce choix artistique, ainsi que par déduction, le choix des objectifs qui va découler de cette volonté de faire un film en 4/3 par exemple.

Utiliser un objectif anamorphique va poussez le metteur en scène à jouer sur l’horizontalité alors que s’il opte pour un objectif « standard » en 135 mm par exemple (ce que l’on nomme une focale longue), le metteur en scène va casser la profondeur de champ pour aller chercher un élément prédéfini pouvant être un objet, une action précise (mouvement de main) ou une partie du corps. Lucy in the Sky est un film où les bandes noires, verticales comme horizontales, vont être constamment en mouvement. Elles sont animées sous nos yeux, en fonction de la scène, en fonction du plan et comme expliqué précédemment, de l’objectif choisi. C’est inhabituel, peu commun au cinéma, pour ne pas dire : une première. Ça décontenance, mais ce mouvement fluide et incessant démontre la recherche créative du cinéaste. Si ça n’avait pas été animé de la sorte, cela aurait résulté d’un souci de post-production. Ici c’est volontaire, c’est recherché et ça a du sens. Un sens émotionnel qui va résulter d’un sens technologique. Lucy in the Sky est une oeuvre conceptuelle storyboardée à l’extrême et où rien n’est laissé au hasard. Un découpage extrêmement précis, des mouvements de caméra tout aussi précis qui vont corrélés avec les choix de mise en scène, ainsi qu’avec le mouvement du plan qui précède et le plan qui va suivre. Changement de format compris, tout est d’une précision chirurgicale sans sombrer pour autant dans un cinéma froid et clinique tel que celui de Yorgos Lanthimos (cinéma passionnant en ce sens).

C’est d’une précision incroyable et passionnante puisque ces choix artistiques et techniques vont enrichir le film sur le plan émotionnel. En venir à développer, par des choix visuels et sonores prononcés, l’intériorité émotionnelle du personnage principal. Un personnage principal tourmenté, perturbé et que l’on va suivre dans sa descente aux enfers. Descente aussi nommée : le Post-Traumatic Stress Disorder. Lucy in the Sky est un film qui traite d’une astronaute, mais qui va uniquement se servir de l’espace comme d’un aimant. Cette chose vers laquelle Lucy Cola est ramenée, tel qu’un soldat qui revient de la guerre peut avoir, une fois revenue du combat, des pulsions qui le pousserait à repartir pour ressentir à nouveau cette décharge d’adrénaline. L’espace est finalement peu présent à l’image. Inexistant diront certains, mais fondamentalement omniprésent dans le sous-texte puisqu’il obnubile le personnage principal. Nous montrer les conséquences émotionnelles et non l’action d’aller dans l’espace tel que tous les films ont pu le faire jusqu’ici. C’est original et que ça fait du bien de voir un cinéaste s’attaquer à la problématique du : « Qu’est-ce qui se passe après ? » et non céder à la facilité du pendant.Problématique bien traitée, avec une mise en scène dynamique, un rythme soutenu et une mise en tension exemplaire dans le dernier tiers. Tension que l’on doit essentiellement au jeu de l’actrice principale : Natalie Portman.

Après Vox Lux, écrit et réalisé par Brady Corbet l’année passée, Natalie Portman démontre une nouvelle fois faire preuve de tact dans ses choix de carrières, choisissant des rôles d’envergure au sein desquels elle peut exprimer son talent d’actrice. Soutenue par une flopée de belles interprétations en seconds rôles (Jon Hamm et Dan Stevens en tête), elle porte et décuple l’intensité émotionnelle de chacun des moments du film. Vous l’aurez compris, Lucy in the Sky n’est pas un film qui plaira à tous, mais une réelle proposition de cinéma qui pousse à se demander : « Pourquoi suis-je que je suis déstabilisé ? », avant de dire c’est décevant. Une oeuvre d’une minutie incroyable tout droit sortie de l’esprit créatif et original de l’homme derrière la série Legion. Un drame haletant, passionnant et remarquablement interprété. Un de mes coups de cœur de cette année à coup sûr, à voir pour vous si vous serez touchés et/ou captivés par cette proposition artistique singulière. 

Lucy in the Sky, au cinéma dès le 18 mars 2020 dans les salles françaises


« Exploration du « Post-Traumatic Stress Disorder » par le prisme d’une expérimentation formelle de tous les instants. Lucy in the Sky est à mon sens une oeuvre d’une minutie et d’une maîtrise totale, véritable cas d’école sur la puissance du sens du cadre. »


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