CinéCinéphile

Quelques mots, sur ces œuvres que nous découvrons depuis le Québec ou la France, sur notre écran d'ordinateur ou dans notre salle de cinéma favorite.

Luce, thriller provocateur et manipulateur sur la force de persuasion par les mots

Synopsis : « Un ancien enfant-soldat africain est adopté par une famille bourgeoise américaine. »


Les lumières de la salle de cinéma s’allument, tu te repositionnes sur ton siège pour avoir fière allure parce que la position “je m’installe comme à la maison” ce n’est pas trop ça, et là, ton ami(e) se retourne vers toi et te pose la question fatidique…

Aucune date de sortie pour la France, seulement une sortie en toute discrétion au courant de l’été concernant l’Amérique du Nord. Cette étrange impression de voir le film sortir entre six grosses productions Américaines ou films familiaux afin de le tuer. Chaque année, on retrouve ces films qui sortent du tiroir d’un producteur et/ou distributeur à la plus mauvaise période de l’année. Un créneau souvent judicieusement choisi afin de ne pas avoir à dépenser davantage dans une production qui en a déjà coûté (trop). Un film auquel ils ne croient plus, à cause de mauvais premiers retour suite à des projections tests, un film dont la production a été calamiteuse…les raisons sont nombreuses. On pense directement au film Colt 45, film d’action de l’excellent Fabrice du Welz, tué par Warner Bros en plein milieu de l’été pour des raisons multiples. Et en effet, il suffisait de le visionner pour comprendre que résidait un problème au sein de ce film, sans être fondamentalement mauvais. Aucune promotion, une affiche pas mal affreuse, une petite bande-annonce et quelques présentations en festivals. Difficile de croire que les maisons de production derrière Luce croient en ce projet. Et pourtant, si tout portait à croire qu’il n’allait être qu’un énième thriller psychologique aussi chaotique que poussiéreux incarné par des têtes d’affiche qui avaient des dettes à rembourser, Luce s’avère être bien plus.

Ancien enfant soldat africain recueilli par une famille aisée américaine, Luce est aujourd’hui un jeune adulte responsable. Charismatique, beau et très intelligent. Accusé par de lourdes accusations, sa famille adoptive va devoir se remettre en question afin de comprendre s’ils sont tous et toutes manipulé.e.s. Tel que son titre l’indique, le centre névralgique (comme j’aime le nommer) du film est ce fameux Luce Edgar. Dès sa scène d’introduction qui prend place dans l’amphithéâtre de l’université, le cinéaste Julius Onah joue avec le spectateur. Luce face à la foule, réalisant une élocution impeccable, impressionnante de justesse dans la diction et la maturité des mots choisis. Face à lui dans la foule, Octavia Spencer, mais également le couple formé par Tim Roth et Naomi Watts. L’instinct du spectateur veut réaliser avec immédiateté une affiliation familiale entre le jeune Luce Edgar interprété par Kelvin Harrison Jr. et le personnage interprété par Octavia Spencer. Deux personnages ayant la peau noire face à la représentation parfaite du couple d’Américains blancs au niveau de vie plus que correcte. Sauf qu’il n’en est rien. Commence alors le jeu de faux-semblant qui va autant se jouer des origines ethniques de chacun, qu’il va chercher à dénoncer le racisme et la discrimination auquel chacun et chacune peut faire face à cause d’images que l’on peut en avoir. Luce est un thriller provoquant, intelligent et très malin dans sa manière de jouer avec le spectateur.

S’il est techniquement extrêmement sobre avec notamment une direction de la photographie très sommaire et volontairement en retrait (un mal pour un bien afin de ne mettre le scénario au second plan derrière une réalisation faussement clinquante), c’est par le prisme de son scénario que Luce épate et captive. Adapté de la pièce de théâtre écrite par J.C. Lee qui en a co-signé l’adaptation pour le cinéma, Luce repose sur un scénario qui va créer une ambiguïté non pas par les actes, mais par les mots et la force de persuasion de chacun des personnages. Qui doit-on réellement croire ? Si dès le début Luce Edgar déclare que sa professeure incarnée par Octavia Spencer est une « bitch », le scénario va très rapidement apprendre au spectateur à se méfier. Se méfier de chacun des personnages, se méfier des accusations calomnieuses qui peuvent détruire des carrières et des vies sur une envie ou un coup de tête. Se méfier de deux qui ont une élocution et un charisme impeccable, mais également de ceux que l’on entend moins, qui sont dans l’ombre non pas par peur, mais pour réussir à convaincre ceux qui sont dans la lumière. Un scénario habile qui jongle avec les mots et dirige le spectateur sur des fausses pistes sans pour autant le pousser volontairement dans le gouffre afin de lui dire qu’il avait tort. Un jeu de pistes, de faux semblants qui tient en haleine autant qu’il dénonce avec force et provocation les accusations raciales de notre société. Avoir en personnage principal un jeune acteur afro-américain doté d’une force d’élocution et de persuasion étant une première provocation envers la société. Et une très belle provocation. Superbement dirigé, Kelvin Harrison Jr. se révèle grâce à un personnage tout en retenue. Un personnage naturellement charismatique, qui va jouer avec les mots et ce charisme pour persuader de ce qu’il pourrait être, ou ne pas être. Il excelle, là où Naomi Watts, Tim Roth, Octavia Spencer, Andrea Bang et Omar Shariff Brunson livrent de simples, mais belles interprétations. Si le scénario le rend intriguant, Kelvin Harrison Jr. rend son personnage magnétique et le film stressant jusqu’à sa dernière frame.

Luce c’est un scénario. Thriller provocateur, qui traite habilement des problèmes raciaux et use avec malice des problèmes liés aux genres et stéréotypes, Luce est un film qui captive sans jamais avoir à faire usage de la force. Tout est dans l’usage des mots et dans l’utilisation par le metteur en scène du charisme naturel de chacun.e de ses acteur.rice.s. La force de persuasion et de manipulation des mots. À une époque où le cinéma est davantage attiré par les actes et le spectaculaire, Luce s’avance sûr de lui, le dos bien droit, prêt à réaliser une élocution prête à envoyer les mentalités d’après-guerre à leur époque. Si on lui reprochera une mise en scène trop théâtrale avec un séquençage simpliste qui donne l’impression par moment d’enchaîner les tableaux, ainsi qu’une photographie qui cherche à créer une ambiance par le trop peu de lumière (c’est beaucoup trop sombre) ainsi que des cadres serrés (ratio cependant bien exploité et pas dérangeant) souvent inutilement, la force d’interprétation de ses acteur.rice.s, ainsi que son scénario occultent sans la moindre difficulté ces quelques problèmes. Êtes-vous prêt à faire confiance au charismatique Luce Edgar ?


« Techniquement perfectible et sommaire, mais une force d’interprétation et un scénario à toutes épreuves qui joue avec malice sur les faux-semblants et les discriminations raciales liées aux stéréotypes. »

Luce, dans les salles en Amérique du Nord dès le 16 août 2019, aucune date d’annoncée pour la France.

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