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Quelques mots, sur ces œuvres que nous découvrons depuis le Québec ou la France, sur notre écran d'ordinateur ou dans notre salle de cinéma favorite.

Le Daim, drame singulier d’un auteur trop facilement catégorisé

Synopsis : « Georges, 44 ans, et son blouson, 100% daim, ont un projet. »

Les lumières de la salle de cinéma s’allument, tu te repositionnes sur ton siège pour avoir fière allure parce que la position “je m’installe comme à la maison” ce n’est pas trop ça, et là, ton ami(e) se retourne vers toi et te pose la question fatidique…

Aujourd’hui connu et reconnu, même par certains curieux qui s’extirpent peu à peu de cette masse plus communément appelée grand public, il est à se demander si ce même public ne connaîtrait pas davantage le nom de l’artiste plutôt que celui de l’une de ses œuvres. Quentin Dupieux : « cinéaste de l’absurde », « celui qui a fait un film sur un pneu serial killer », « celui qui fait des films qui n’ont absolument aucun sens, mais qui sont drôles »… Il est un cinéaste atypique dans le paysage français. Un cinéaste dont le nom a aujourd’hui une connotation. Il est relié, attaché à une image que l’on a de lui. Image qui n’est pas forcément celle que l’on devrait avoir lorsque l’on parle de l’artiste, tant ses œuvres sont différentes et sa filmographie évolutive. Lorsque l’on va voir un film de Quentin Dupieux, l’on s’attend à voir un film absurde. Une comédie absurde qui ne ressemblera à aucune autre. Des films conceptuels qui vont chacun embrasser leur concept, l’approfondir et le développer afin d’aller au bout de l’idée principale. Il n’est pas question de survoler un sujet ou une idée pour flirter avec une autre.

Une idée principale, à laquelle vont être rattachés des personnages et de laquelle va découler une narration cinématographique assez classique, en trois étapes. Un concept qui va être étudié, exploré, essoré jusqu’à ce qu’il n’en est plus rien à tirer. Un synopsis qui se tient en une ligne, mais dont la finalité va être un long-métrage d’une heure et quinze de durée. Si une heure et quinze pourrait sembler court, tant la norme moderne fait que l’on a l’habitude de voir en moyenne des films flirtant avec l’heure et cinquante, elle est une durée amplement suffisante pour Quentin Dupieux. C’est l’histoire qui doit définir la durée et non la durée qui doit définir l’histoire. S’il faut à un cinéaste trois heures pour raconter de la plus belle des manières son histoire, qu’il prenne son temps. Là où l’heure et quinze du film Le Daim suffit amplement au cinéaste français pour embrasser le concept de son film, tout en inculquant à ses personnages du caractère. De réelles personnalités qui vont permettre au film d’être fondamentalement plus qu’une simple comédie absurde qui n’a aucun sens.

Si Non-Sens et Rubber étaient des films à concept plus qu’à personnages, pouvant être à juste titre caractérisés comme étant des comédies absurdes, la filmographie de Quentin Dupieux a évolué en même temps que son appréhension du médium. L’absurdité s’est petit à petit muée en drame. Un élément qui a toujours été présent. Sous-jacent, dans l’ombre, mais omniprésent, car intimement lié à l’absurde et à ces personnages qui agissaient de manière absurde. Des personnages obnubilés par une tâche, un élément, qui se plongeaient corps et âme dans ce qui va se muer en une aventure afin de ne pas penser au reste. S’oublier pour oublier. Oublier sa solitude, le manque d’une personne ou de quelque chose. Que l’on parle sur un plan sentimental ou non. Quentin Dupieux a toujours réalisé des drames intimistes. Des films qui paraissent drôles, puisque mettant en avant l’absurdité des situations et des actions réalisées, mais des actions enclenchées par des personnages perdus. La solitude, la recherche d’un élément afin de combler un manque. Là est l’élément qui prédomine dans la filmographie du cinéaste français.

Le Daim en est la représentation la plus exacte et la plus simple à comprendre. Tel que son titre le laisse supposer, Le Daim conte l’histoire de cet homme qui va tomber en amour pour cette matière. Pour une veste en daim, avant de sombrer dans une folie qui va le pousser à se transformer pour l’amour d’un style de malade. Expression représentative et tirée du film en lui-même, elle comprend tous les éléments qui vont nous permettre de comprendre ce que le film cherche à nous raconter. Devenir malade par le style, par la recherche d’un style permettant à ce personnage de devenir quelqu’un, d’avoir un style et ne pas être qu’un individu lambda, invisible aux yeux des autres. Se donner de l’importance par le prisme du style et attirer l’attention. Tout en étant finalement heureux de devenir quelqu’un d’important aux yeux d’une ou de plusieurs personnes. Le Daim est un film d’une tristesse infinie. Un film qui parle de la dépression et de la solitude avec une justesse incroyable, car jamais pathos et sans aucune retenue. Quitte à sombrer dans le pur film d’horreur, mais avec des actes horrifiques et cruels justifiés par l’état psychologique du personnage. Du pur cinéma de genre inclassable, passant d’un genre à l’autre afin d’aller au bout de ses idées et sans jamais se brimer. Une fois n’est pas coutume, Quentin Dupieux ne traite pas de la solitude et/ou de la dépression par une mise en scène statique avec un protagoniste qui se lamente sur son propre sort. Il le fait bouger, lui donne un objectif et lui écrit une aventure dans laquelle il va se lancer corps et âme pour combler ce manque (fondamentalement affectif et envers lui-même). Foncer tête baissée pour suivre cette petite voix qui nous dit d’y aller, sans que l’on y réfléchisse.

Cette petite voix est celle de Quentin Dupieux. La voix d’un cinéaste dont l’objectif est de créer un univers unique qui va servir de cocon pour un personnage qui va s’adonner à se perdre mentalement. Un univers singulier, loin de notre société surchargée et sur-connectée, composé uniquement de personnages aux personnalités qui peuvent nous paraître comme déconnectées de notre réalité. Mais ils se fondent parfaitement au sein de cette réalité, celle dépeinte par le prisme de la caméra du cinéaste. Un univers cohérent, tant dans les teintes de couleur, que dans les paysages et décors choisi afin de ne jamais sortir de ce cocon par le biais d’une couleur trop criarde ou d’un décors qui dénoterait du reste. Créatif, singulier, unique et audacieux, mais aucunement uniquement lié au cinéma comique et absurde. Il est bien plus, mais uniquement si vous décidez de le voir, de le concevoir. Ceci n’est qu’une vision, que ma vision. Ce qui n’est peut-être qu’une sur-analyse, parce que oui, Le Daim reste évidement en surface un divertissement. Un divertissement aussi drôle que touchant, aussi remarquablement interprété que formellement aussi intéressant que cohérent dans ses choix artistiques.


Disponible en DVD et Blu-Ray en France et depuis le 1er novembre 2019 dans les salles au Québec

« Le cinéaste de l’absurde évolue au grès des films et se construit une filmographie toute aussi riche que conséquente. Quentin Dupieux signe avec Le Daim un drame singulier sur la dépression, la solitude et le désir. »


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