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Quelques mots, sur ces œuvres que nous découvrons depuis le Québec ou la France, sur notre écran d'ordinateur ou dans notre salle de cinéma favorite.

La Nuit où Laurier Goudreault s’est réveillé

« Dans Votre Écran », votre rubrique qui revient en quelques mots, sur ces œuvres -majoritairement audiovisuelles- que nous découvrons depuis le Canada ou la France, sur notre écran de salon, d’ordinateur ou dans notre salle de cinéma favorite.

L’enfant prodige. Si le cinéma québécois n’est pas encore reconnu à sa juste valeur à l’international, ou ne serait-ce qu’en France, le nom de Xavier Dolan l’est. Doubleur, acteur, mais avant tout scénariste, monteur et réalisateur de huit longs-métrages alors qu’il s’apprête à fêter son 34e anniversaire. Un cinéaste qui pratique un cinéma sur-expressif que l’on adore ou que l’on déteste. Mais qui ne laisse pas indifférent.

Un cinéma chargé, à l’image de personnages dont il fait surgir toute la colère, la peur, la haine et le doute. Même l’amour se doit d’être consommé et vécu de manière gargantuesque (accolades, embrassades, pleurs, rires, exclamations, hurlements…), prenant aux tripes les personnages. Chaque scène est engagée et brute. Un cinéaste démonstratif qui se donne corps et âme dans chaque projet, dans chaque personnage. Ce qui nous donne des films extravagants, plus grands que nature qui viennent chercher leur auditoire grâce à une approche fondamentalement naturaliste. 

Le visuel n’a toujours été qu’un reflet de la conscience des personnages, un moyen de les faire s’exprimer face à la caméra. Un rapport au réel qui se concentre avant tout sur les moments charnières et non sur les silences et moments vides. Dans les différents longs-métrages produits à ce jour, il n’est pas pas question d’intrigue à proprement parler. Pas d’enquête, pas de développement narratif à rebondissements, mais des évocations de moments de vie plus ou moins houleux (positifs comme négatifs) qui viennent créer une continuité et une structure narrative pour permettre aux films de ne pas être qu’une succession de séquences sans rapport.

Projet qui aurait dû être son tremplin international, The Death & Life of John F. Donovan ressembla finalement à un accouchement précipité dans la douleur, tant le montage final ne ressemble qu’à une ébauche de la fresque qu’il aurait dû être. Néanmoins, on y retrouve déjà les prémices narratives de ce que propose la mini-série en cinq chapitres : La Nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé.

Une nuit d’octobre en 1991, le destin de Mireille, de son frère Julien et de leur meilleur ami Laurier est à jamais bouleversé par un terrible incident et leurs routes se séparent. Les deux familles sont brisées. Plus rien ne sera jamais comme avant. Trente ans plus tard, un évènement tragique réveille les consciences et les tourments de la famille Larouche.

Pour la première fois de sa carrière, Xavier Dolan donne l’impression d’être détaché de ses personnages et de ne pas s’impliquer avec eux. Ce qui est une excellente chose. Même étant derrière le moniteur, il a toujours été un cinéaste qui se donne, parle et joue avec ses comédiens lors des prises pour enrichir les séquences. Ce qui pouvait inculquer à chacune de ses œuvres, cette sur-expressivité produite par un échange permanent entre le cinéaste derrière le moniteur (représentation du spectateur par le prisme de la vitre de la caméra) et ses comédiens.

Même si acteur aux côtés (des excellents) Patrick Hivon, Julie Le Breton, Eric Bruneau, Magalie Lépine Blondeau, Anne Dorval ou encore Julianne Côté, Xavier Dolan donne l’impression de n’être que « simple » metteur en scène. Un metteur en scène qui a pour but de créer des échanges entre les personnages sans qu’il n’y ait cette interaction avec un membre extradiégétique. Il raconte une histoire avec un pied sur le break de l’expressivité, mais avec une charge émotionnelle tout de même exponentielle.

Avec La Nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé, Xavier Dolan signe une œuvre à part entière. Construite sous la forme d’une mini-série en 5 épisodes d’une heure chacun, c’est finalement bel et bien sous la forme d’une œuvre de 5h qu’on la caractérise au mieux. Haletante, remarquablement construite et à la mise en scène engagée. On peut en parler comme d’un long-métrage de 5h dont on se délecte de chaque séquence sans qu’elle ne nous donne l’impression de rallonger artificiellement l’enquête, mais ce serait omettre les qualités scénaristiques propres à celles d’une série.

Des épisodes méticuleusement construits avec : une gradation émotionnelle, des personnages plus importants et influents en fonction des chapitres et un sens du cliffhanger qui donne continuellement l’impression que le récit va de l’avant. Un drame familial dont l’intrigue policière est un enrobage qui permet de réunir un panel de personnages dont le rassemblement va permettre de raviver des tourments.

Deux temporalités se chevauchent, avec une narration dont le présent diégétique prend place en 2021, agrémentée de flashbacks qui illustrent les évènements déroulés en 1991. Un passé dont certains personnages n’ont pas connaissance dans le moindre détail, voire pas du tout, alors que d’autres cherchent à en oublier chaque détail. Du « non-dit », encore et toujours. Mais une fois n’est pas coutume, le « non-dit » n’apparaît pas comme un rouage scénaristique artificiel. Le seul moment où le cinéaste cache délibérément une information au spectateur, il le fait dans le but de l’illustrer par une suite de plans à la mise en scène sur-expressive purement « Dolaniennes », mais justifiée.

La cohésion se tient dans la gestion des point de vue et des rencontres. Un script où rien n’est laissé au hasard. Où fondamentalement, les personnages qui en savent le plus vont gagner en densité au fur et à mesure de l’avancée du récit. Ceux qui en savent le moins (les plus jeunes incarnés par Eric Bruneau, Xavier Dolan et Magalie Lépine Blondeau) posent les bases, contextualisent et permettent au spectateur de s’imprégner du contexte social tout en apprenant à connaître chacun des personnages. Avant que ceux qui en savent le plus (les ainés incarnés par Patrick Hivon et Julie LeBreton), viennent brasser les cartes. Un crescendo narratif dont l’harmonie implacable fonctionne grâce à une tension qui monte crescendo en harmonie entre les personnages eux-mêmes et le spectateur. L’intrigue prend forme, puis se dessine avec ampleur, au fur et à mesure que les langues se délient. Une gradation qui gagne en densité et en impact par la gestion des codes propre au thriller.

La Nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé est un pur thriller influencé par le cinéma de David Fincher dans sa création d’ambiance. Et on ne parlera pas de son générique, qui copie-colle allègrement un certain Se7en jusque dans la musique. Décors et conditions météorologiques viennent créés une atmosphère et un sentiment de malaise. Humide, poisseuse, un sentiment d’oppression s’installe rapidement et le mal-être grandit au fur et à mesure que les personnages voient leurs émotions intérieures prendre trop de place. Un travail sur l’intériorisation des émotions qui n’est pas propre à celui du cinéaste québécois. Du travail sur les silences, à l’expressivité d’un regard dans le vide ou dans une direction évocatrice. Deux éléments propres au thriller que Xavier Dolan s’approprie avec en toile de fond le conflit familial qui vient nourrir tension et l’intrigue qui se résume en cette question : « que s’est-il passé en 1991 ? ».

La Nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé est une surprise à la hauteur de l’évènement. Une œuvre dense qui a le pouvoir de réconcilier le cinéaste avec ses détracteurs, mais également de décontenancer certains de ses adorateurs. Une mise en scène plus poseuse, à la recherche de l’évocation du moment et des actions, plus que dans la sur-expression des sentiments. Densifié par un travail atmosphérique remarquable et une direction artistique qui permettent l’implication par la crédibilité de l’univers proposé. On y croît, on se laisse embarquer et l’incarnation viscérale du casting nous prend aux tripes. Xavier Dolan est un grand metteur en scène, un grand directeur de talents et il le prouve de la plus belle des manières.

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