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Quelques mots, sur ces œuvres que nous découvrons depuis le Québec ou la France, sur notre écran d'ordinateur ou dans notre salle de cinéma favorite.

I’m Thinking of Ending Things, un road trip sans âge

Synopsis : « A travers la campagne enneigée, Jake et sa petite amie roulent vers la ferme de ses parents. C’est la première fois qu’elle les rencontre et il semble un peu anxieux de l’approche de ce moment. »


Les lumières de la salle de cinéma s’allument, tu te repositionnes sur ton siège pour avoir fière allure parce que la position “je m’installe comme à la maison” ce n’est pas trop ça, et là, ton ami(e) se retourne vers toi et te pose la question fatidique…

Charlie Kaufman est un scénariste talentueux. Il collectionne les Oscars, reconnu pour son travail avec Michel Gondry, Eternel sunshine of the spotless mind, ou Spike Jonze. Synecdoche, New York sorti en 2008 marque son passage au poste de réalisateur. Ce long métrage est son troisième après un audacieux film en stop motion, Anomalisa. On retrouve dans I’m thinking of ending things de nombreux éléments de mise en scène et de thématiques proche de son premier film, indiquant ainsi plus clairement la direction que prend son cinéma. 

Inspiré du roman éponyme de Iain Reid, Kaufman en prend habilement ses distances, distillant la révélation finale tout au long du film plutôt que d’arquer le tout dans un twist. Il en ressort une grande satisfaction pour le spectateur attentif qui recollera les morceaux de vérité liés aux personnages. Et de l’attention il va en falloir, car chaque scène, plan, dialogue fourmille d’indications, de détails et de demi tours, comme une pensée faisant son chemin dans notre cerveau.

Le cinéaste nous plonge progressivement la tête sous l’eau, laissant émerger un iceberg onirique, entrecoupé de réalité cinglante. Jesse Plemons et Jessie Bluckley nous enchaînent dans l’immensité de l’être et son questionnement. La mélancolie et l’étrangeté de leurs échanges recouvre le cheminement si bien que rapidement, le temps semble s’arrêter et on ne sait plus très bien depuis combien de temps on a débuté le visionnage.

C’est alors que brusquement le film nous entraîne dans cette ferme familiale. L’inquiétude que l’on voyait poindre au fur et à mesure de leur voyage se transforme en réelle anxiété, une fois sortis de l’habitacle. Si tout est symbolisme, il est relativisé par une nouvelle approche du spectateur à l’intime des personnages. On attend, on observe, on écoute et on commence à sentir sous ses doigts les cicatrices et plaies ouvertes de la solitude, d’une vie passée à l’écart. Un chien s’ébroue en boucle, les conversations se répètent mais ne se ressemble pas, les visages vieillissent pour mieux rajeunir. Le cochon, représentant la mortalité, semble sain mais ses entrailles sont rongées par les asticots.

David Thewlis emboîte le pas de Toni Collette pour nous offrir ces moments de gêne très universelle. Le vertige nous prend au coin d’un escalier, dans l’embrasure d’une porte pointant le mystère de ce qui se trouve à l’intérieur, dans la pénombre .Il attire autant qu’il repousse. La caméra capte tout mais on ne lui fait pas confiance. La crispation derrière chaque pas nous empêche de visiter la maison à notre guise, de nous sentir accueillis.

A l’heure de la vaisselle on règle ses comptes. La parentalité se met en échec devant le malheur de son enfant. La maladie affecte tout et le psychologique prend le pas sur le physique. L’acte créatif devient embarrassé car incompris. On maquille, on enterre, on cache. Reste l’imaginaire pour fuir, mais jusqu’où peut-il aller ?

“Je regarde surement trop de films” dira Jake à sa compagne, presque honteux. Les références du récit se retrouvent étiquetées comme sur l’étagère de la bibliothèque du lycée. Kaufman se plait à les énumérer et à les mettre en lumière, exercice difficile, qui rend le discours pédant mais tellement instructif. Certaines séquences apparaissent parfois longues, c’est qu’elles sont peut-être trop habitées par l’ambiance générale.

Les films, les livres, notamment Ice de Anna Kavan se retrouvent au premier rang plutôt qu’en coulisse. Cette œuvre est parmi d’autres, une obsession pour le cinéaste. Il en fait mention dans un dialogue qui ne débouche sur un murmure, créant une invitation à cet univers étrange, hallucinogène. Référence presque inaccessible immédiatement mais dont l’écho happe ses personnage dans la nuit. Le héros de Ice poursuit une femme sans nom à travers un hiver nucléaire, reflétant ce voyage dont on ne devine pas encore l’issue.

Dans sa troisième partie, Charlie Kaufman pousse l’accélérateur et les abords de ses personnages deviennent tangible pour mieux disparaitre. Le fantasme et l’allégorie enjoignent le rêve,  le masque se brise. On bascule dans la comédie musicale, et dans le pastiche de pièce de théâtre qui rend la chute plus belle et laisse une partie de Jake piégé dans le bâtiment qu’il affectionne tant. La tension atteint son comble avant la révélation douce-amère dans un couloir déserté. Une atmosphère très étrange s’en dégage, presque surréelle après le voyage accompli. Ce qui est et n’est pas est laissé à notre courtoisie, à nous de remonter les pistes malgré le blizzard.


Actuellement disponible sur Netflix

« La délivrance est réelle ou figurée selon les avis, et si certaines questions restent en suspens, c’est peut être aussi pour mieux nous les approprier. »

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