Synopsis : « Peu de temps après les événements relatés dans Split, David Dunn – l’homme incassable – poursuit sa traque de La Bête, surnom donné à Kevin Crumb depuis qu’on le sait capable d’endosser 23 personnalités différentes. De son côté, le mystérieux homme souffrant du syndrome des os de verre Elijah Price suscite à nouveau l’intérêt des forces de l’ordre en affirmant détenir des informations capitales sur les deux hommes… »
Les lumières de la salle de cinéma s’allument, tu te repositionnes sur ton siège pour avoir fière allure parce que la position “je m’installe comme à la maison” ce n’est pas trop ça, et là, ton ami(e) se retourne vers toi et te pose la question fatidique…
Cela serait un euphémisme de dire que Glass, troisième volet de la trilogie des super-héros de M. Night Shyamalan, était très attendu en ce début d’année 2019, notamment après le succès public et critique de Split, véritable résurrection inattendue d’un auteur que l’on avait longtemps cru perdu. Avec Incassable (2000) et Split (2017), Glass vient conclure une trilogie qui s’est construite progressivement et dans le secret le plus total. Au fur à mesure de la filmographie du cinéaste, il ne nous a révélé qu’à la toute fin de Split, le fait que ce film se déroulait dans l’univers d’Incassable, faisant office de deuxième segment à une trilogie que personne n’avait vu venir. Le cinéaste nous montre son Shyamalan Cinematic Univers. Et il faut avouer que la proposition était plus qu’excitante, à l’heure où le Marvel Cinematic Univers nous resserre tous les ans la même formule : un formatage du film de super-héros, notamment à travers les promesses incessantes d’un Avengers : Infinity War(2018) pour n’en citer qu’un.
La promesse d’un regard nouveau et singulier sur le genre par un cinéaste qui avait déjà brillamment questionner la figure du super-héros dans les comics, avec son chef-d’œuvre Incassable. Cela laissait fortement espérer une proposition de cinéma intéressante, surtout après la claque inattendue que fut Split, merveille d’écriture et de mise en scène, réunissant les obsessions de son cinéaste pour des personnages aux souffrances refoulées. Ce film semblait avoir mis tout le monde d’accord sur le fait que M. Night Shyamalan avait littéralement repris du poil de « La Bête », sans mauvais jeux de mots. Mais cette grande attente pouvait également laisser présager d’une déception. Là où les deux précédents films du cinéaste, The Visit (2015) et Split, étaient totalement inattendus, au final, Glass serait-il une conclusion à la hauteur de ses deux précédents segments ?
Tout d’abord, si ce troisième volet vient conclure une trilogie, donc en l’occurrence synthétiser les deux précédents volets, force est de constater que Glass est avant tout une proposition de cinéma différente de ses prédécesseurs dans sa forme. Esthétiquement, Glass est un film hybride : il synthétise l’esthétique d’Incassable et de Split pour se définir une troisième identité, un habile mélange entre le thriller psychologique et le film de comics minimaliste. Sur la forme, Glass rassemble des motifs récurrents de la filmographie de Shyamalan autant qu’il expérimente pour nous offrir un regard sur le genre qui n’a encore jamais été vu. Le cinéaste fait preuve d’une maîtrise indéniable qui témoigne de la maturité de son œuvre, notamment dans sa manière de filmer l’espace d’un huis-clos, déjà à l’œuvre dans Split. L’hôpital psychiatrique sert de lieu principal à l’intrigue de ce troisième volet et reflète esthétiquement la personnalité des trois super-humains de Glass. La chambre de David Dunn (l’émouvant retour de Bruce Willis devant la caméra du cinéaste) remplit de tuyaux d’arrosage prêts à inonder l’espace, pour plonger le héros dans l’eau, seule faiblesse du personnage, découverte dans Incassable. Les lampes qui projettent des flashs lumineux pour littéralement mettre dans la lumière les personnalités multiples de Kevin Wendell Crumb alias « La Bête » (un James McAvoy au sommet), puis la chambre d’isolement d’Elijah Price alias Mr. Glass (Samuel L. Jackson, personnage central de ce troisième film), mis à l’écart dans une chambre capitonnée, loin de tout objet pouvant servir à sa stratégie et à son intelligence surhumaine, et pour lui éviter tout accident car le personnage est atteint de la maladie des os de verre.
Les couleurs associées aux trois personnages forment dans leur unicité un mélange hybride dans l’esthétique, à l’image d’une scène de thérapie – la meilleure scène du film – dans une pièce rose monochrome. Là les reflets des personnages et leurs couleurs se fondent avec la couleur de l’espace dans lequel a lieu la confrontation. Les nombreux effets miroirs du lieu ramène à la thématique de la nature profonde de ces super-héros, rendus extraordinaires par leurs failles intérieures. Le directeur de la photographie Mike Gioulakis, déjà à l’œuvre sur Split, recycle également la noirceur des images du précédent film, notamment dans l’entrepôt désinfecté qui sert de repère à « La Bête », pour les associer à la froideur clinique du lieu central de Glass, définissant au passage une esthétique propre à ce troisième segment. M. Night Shyamalan expérimente en utilisant intelligemment le plan-séquence et la force du hors-champ pour mettre en scène les changements de personnalités du personnage de James McAvoy, filme les scènes d’affrontements entre David Dunn et « La Bête » en expérimentant une caméra accrochée au torse des personnages qui filme leur visages de face avec une frontalité qui nous regarde directement, nous implique de manière presque sensorielle dans la confrontation entre ces surhumains. Et ceci, autant dans les scènes d’actions minimalistes où Shyamalan se refuse au spectaculaire d’un blockbuster à la Marvel de manière intelligente, que dans les dialogues frontaux entre les trois super-héros et leur mystérieuse psychiatre, le Dr. Ellie Staple (Sarah Paulson, excellente d’ambiguïté, rappelant par moment la détestable infirmière Mildred Ratched de Vol au-dessus d’un nid de coucou). Elle sème le doute auprès des personnages sur leur nature surnaturelle, remettant en question la plupart des obsessions du cinéaste qui propose une véritable réflexion sur la figure du super-héros moderne mais aussi sur l’œuvre que forme sa filmographie. Une véritable réflexion méta-cinématographique sur sa trilogie super-héroïque.
Glass est déroutant dans sa manière d’approfondir les thématiques et les personnages d’Incassable, autant dans le fond que sur la forme, notamment dans cette continuité avec ces acteurs/personnages que l’on retrouve 19 ans plus tard avec un sentiment de familiarité assez déroutant. Joseph Dunn, le fils de David, a grandi, et il est toujours interprété par Spencer Treat Clark dont le visage est resté le même, renforçant ce sentiment de continuité que provoque également le vieillissement de Bruce Willis et de Samuel L. Jackson, ils reprennent leurs rôles respectifs de Justicier et Super-Vilain d’Incassable. Mais là où Glass s’impose dans une parfaite continuité avec ce premier film, c’est lorsque Shyamalan parvient à mêler avec une grande virtuosité les images coupées du montage d’Incassable avec celles de Split et de Glass, formant un ensemble d’une cohérence implacable autant dans ces motifs visuels que scénaristiques. La cohérence est à la fois visuelle, scénaristique, mais aussi musicale. Le compositeur West Dylan Thordson recycle habilement les compositions de James Newton Howard d’Incassable. Il les assemble à ses propres compositions constituées de sons graves et anxiogènes pour Split, tout en y ajoutant les cuivres angoissants des compositions de Sixième sens (1999), pour former une bande originale qui synthétise toute l’œuvre du cinéaste. Glass finit par achever cette cohérence en rassemblant toutes les thématiques du cinéma de Shyamalan, sous la forme d’un questionnement existentiel sur la figure du super-héros à notre époque moderne où les médias jouent un rôle primordial dans notre perception de ces mythes. Une interrogation intérieure de la figure du héros selon la vision de M. Night Shyamalan, un héros rendu extraordinaire par ses failles, ses souffrances et ses doutes.
Enfin, le réalisateur questionne de nouveau la religion dans son oeuvre : l’aveuglement des médias nous fait-il perdre le sens du surnaturel et de l’inattendu. Il crée ici une sainte trilogie portée par les trois personnages principaux mais aussi leurs trois compagnons d’armes : le fils de David Dunn, la mère d’Elijah et enfin Casey, la jeune fille que « La Bête » décidait d’épargner. Une trinité divine où la Mère se substitue au Père. Le Fils est présent et le Saint-Esprit est portée par la virginale et douce Anya Taylor-Joy. En questionnant cette trinité divine, M. Night Shyamalan place son oeuvre dans une interrogation directe sur la religion. Qui sont les Dieux d’aujourd’hui ? Y a-t-il des entités supérieures ? Et surtout, le Dr. Ellie Staple, n’est-elle pas le diable qui vient tenter cette sainte trinité ? En clair, le réalisateur cherche à comprendre où est le Mal, dans quels détails se cache-t-il et finalement si chaque individu n’est pas composé d’un oubli angélique et maléfique ?
Avec Glass, M. Night Shyamalan conclut brillamment sa trilogie des super-héros. Un triptyque composé de trois segments différents, des œuvres autonomes dans la filmographie du cinéaste mais qui forment dans leur ensemble une trilogie aboutie, une synthèse des obsessions du cinéaste pour les personnages brisés et un regard singulier sur la figure du super-héros moderne, ce qui en fait une œuvre à part entière, d’une cohérence « incassable ». La trilogie chef-d’œuvre de son auteur, ni plus ni moins.
Ce film est interdit aux moins de 12 ans
« Avec Glass, M. Night Shyamalan conclut brillamment sa trilogie des super-héros. Un triptyque composé de trois segments différents, des œuvres autonomes (…) mais qui forment une trilogie aboutie. »