CinéCinéphile

Quelques mots, sur ces œuvres que nous découvrons depuis le Québec ou la France, sur notre écran d'ordinateur ou dans notre salle de cinéma favorite.

[ENTREVUE] Swann Arlaud et Hubert Charuel, le duo énergique derrière le film Petit Paysan

© Photographie Festival de films CINEMANIA

Synopsis :« Pierre, la trentaine, est éleveur de vaches laitières. Sa vie s’organise autour de sa ferme, sa sœur vétérinaire et ses parents dont il a repris l’exploitation. Alors que les premiers cas d’une épidémie se déclarent en France, Pierre découvre que l’une de ses bêtes est infectée. Il ne peut se résoudre à perdre ses vaches. Il n’a rien d’autre et ira jusqu’au bout pour les sauver. »


Lire notre Critique du film Petit Paysan
Petit Paysan est toujours en salles en France (sortie DVD et Blu-Ray prévue pour le 09 janvier 2018) et vient de sortir ce 10 novembre 2017 dans les salles montréalaises.

20 mai 2017. À cette date, est présenté en séance spéciale à la Semaine Internationale de la Critique dans le cadre du Festival de Cannes, le long-métrage de Hubert Charuel : Petit Paysan. Simplement nommé, mais très largement acclamé à l’occasion de ses deux projections lors du festival, qui aurait prédit que ce premier long-métrage allait être un des films marquant pour le cinéma français en 2017 ? Plus de 500.000 spectateurs en France, encore une cinquantaine de salles qui le diffuse deux mois et demi après sa sortie le 30 août 2017 (article posté le 12/11), récompensé par trois prix au Festival d’Angoulême (Valois de Diamant, Valois de l’acteur et Valois de la musique) et il débute maintenant sa carrière à Montréal avec une superbe réception au Festival Cinémania. Quelle carrière !


« C’était inespéré ! » Hubert Charuel


Fils de paysans, Hubert Charuel a décidé de ne pas suivre la voie familiale et d’aller vers ce qui le faisait rêver : le cinéma. Diplômé de la promotion 2011 en production, de la prestigieuse école, La Femis, ce n’est qu’après avoir réalisé quelques courts-métrages, que le cinéaste en herbe c’est lancé dans la périlleuse aventure du long-métrage. Le projet Petit Paysan ne date cependant pas d’hier, mais bel et bien de travaux d’écritures initiés à l’École nationale supérieure des métiers de l’image et du son. Un projet qui a longuement mûri, qui a germé et a pu devenir ce qu’il est aujourd’hui grâce aux distributeurs Stéphanie Bermann et Alexis Dulguerian, ainsi qu’à Claude Le Pape avec laquelle il a co-scénarisé le film. Un projet de longue date donc, mais un projet ambitieux et audacieux, même si certains vous disent qu’il est typiquement représentatif du cinéma français puisque racontant l’histoire d’un simple et « petit » paysan dont la ferme se situe dans les terres françaises et non dans un pays leur paraissant exotique, car loin de chez eux. À ces derniers, allez plus loin que le simple visionnage de la bande-annonce et vous comprendrez mieux.

Puisque oui, Petit Paysan est un projet ambitieux et délicat à mener, car le cinéma français est, à l’image du cinéma américain pour ne citer que lui, un cinéma qui laisse de moins en moins la place au cinéma indépendant. Il faut avoir du mérite pour préparer, produire et réaliser un film aussi intimiste que celui-ci, et ce, sans tête d’affiche reconnue à l’international. Si Petit Paysan touche autant le public, et, a su séduire tant la presse que les spectateurs du monde entier, c’est bien parce qu’il ose et ne se contente pas du minimum syndical. Petit Paysan n’est pas simplement le drame empathique sur un fermier qu’il ne le laisse croire à première vue. C’est le portrait d’un fermier en proie à des problèmes qui pourraient, et qui ont, touchés des milliers d’éleveurs (épidémie de la vache folle…), mais un portrait fictionné et volontairement exagéré pour le bien-être de l’oeuvre et de la création d’une atmosphère. Tout autant un film sur la difficulté dans un cas extrême de la condition paysanne, qu’un thriller psychologique lourd et haletant. Basculer du naturalisme conventionnel pour le film qui traite d’un tel sujet, au cinéma de genre, comme nous l’explique Hubert Charuel :


« L’idée était de s’éloigner au maximum de tout ce que l’on peut avoir comme représentation convenue et cliché du monde rural. D’en sortir et de faire une fiction, parce que c’est un univers qui mérite la complètement la fiction.

Notre but, avec le chef opérateur, était d’avoir une sorte de glissement. Partir du naturalisme, avec une esthétique très naturaliste, pour glisser et tendre vers le film noir. À part la première séquence dont la durée environne les 20 minutes et qui est, finalement, très classique, on a cherché à tendre par la suite vers le film noir. Utiliser les codes du film noir, sans aller trop loin et que le spectateur ai l’impression de ne plus reconnaître le film au bout d’une heure. Il nous fallait pour ça toujours conserver comme seul point de vue, celui de Pierre, et, trouver une esthétique qui permette une nouvelle fois, ce glissement du film naturaliste vers le film noir. Ça passe par exemple par un découpage plus incisif lors de certaines scènes et d’un personnage qui va subir de plus en plus, pour lequel ça va être de plus en plus difficile. » Hubert Charuel


Le cap d’une première réalisation est toujours difficile à franchir. De manière plus générale, il est aujourd’hui de plus en plus difficile de faire des films, de faire les films que l’on veut. Tout est une question d’argent et les producteurs, distributeurs prêts à prendre des risques sur de petits projets, sont de moins en moins nombreux. Au-delà de ça, et de cet aspect financier qui n’est autre que la première des nombreuses étapes à passer, on parle également des défauts du « premier film ». Les fameux défauts d’un premier long-métrage. Paradoxalement, ces mêmes éléments que l’on pourrait juger comme négatifs pour un premier film, peuvent s’avérer être finalement davantage positifs et intéressants. Des choix narratifs peu ordinaires, un mélange des genres… une première réalisation est souvent l’objet de fantasmes et de fantaisie. Ne pas refaire ce qui a déjà été fait, mais réaliser un film personnel, un film que l’on aurait aimé voir, mais que l’on n’a pas encore vu comme tel. Un film qui va donc tenir à cœur et qui ne va pas ressembler aux autres, même s’il peut être linéaire dans sa narration, peut-être également prévisible et manichéen dans la caractérisation de certains personnages.

Petit Paysan n’est pas le film parfait, mais il correspond pleinement à la description faite ci-dessus. Un long-métrage personnel, dans lequel Hubert Charuel y a mis une partie de son histoire familiale, ainsi que son énergie abondante et sa passion pour le cinéma. La sincérité de son auteur, l’énergie collective déployée par l’équipe derrière la création de chacun des plans de l’oeuvre, sont des éléments indissociables de la réussite d’une oeuvre cinématographique. Le cinéma est un art collectif et en rien un art individualiste. Il n’y a rien de moins intéressant qu’un film impersonnel, fade et autrement qualifiable comme : sans âme. Petit Paysan est l’exemple même du film communicatif, dont l’énergie et l’envie de bien faire les choses de la part de chaque membre de l’équipe se ressentent au travers du visionnage de l’oeuvre. Si les émotions transcrites à l’écran paraissent sincères et les acteurs naturels dans leurs actions, c’est à la fois l’oeuvre d’un auteur qui a su bien écrire son scénario, mais surtout d’un travail réalisé avec envie par une équipe énergique, soudée et aux membres bienveillants les uns envers les autres. Ce que nous ont parfaitement résumé Swann Arlaud et Hubert Charuel :


« C’est peut-être aussi ça qui a fait que ça a fonctionné. Si d’un coup on était là à dire à Swann (Arlaud NDLR) qu’il était incroyable, on se serait tous contentés du minimum et concentrés sur des détails pas importants. Ce qui n’était pas le cas, tout le monde était hyper impliqué. Il faut le savoir, mais une semaine avant le tournage on avait réintroduit des vaches dans la ferme de mes parents (lieu de tournage du film NDLR) et Swann est venu reprendre en mains le troupeau. L’équipe technique n’est arrivée qu’une semaine après. Pendant une semaine avant le tournage, Swann était chez lui, allait aux traites deux fois par jours… c’était tout à fait naturel pour lui. » Hubert Charuel

« Jusqu’au bout on ne savait pas que le résultat aurait paru aussi vrai. À chaque fin de prise, j’allais voir Hubert (Charuel NDLR), voir la mère d’Hubert (conseillère technique et petit rôle dans le film NDLR) qui est très exigeante et pointilleuse. On parle ici que de la traite, pas de tout le film évidement, parce que la traite était pour moi l’élément le plus important. La salle de traite était un peu pour moi mon bureau.

On entend souvent dire qu’il y a des réalisateurs terrorisés par des acteurs et il peut y avoir aussi des acteurs qui terrorisent des jeunes réalisateurs à cause de leur image de prestige… Avec des réalisateurs comme Hubert ou Clément Cogitore pour Ni le Ciel Ni la Terre, je me suis retrouvé avec des réalisateurs du même âge que moi et qui faisaient leur premier film. On avait un rapport d’égalité, l’impression de mutuellement se faire un cadeau. D’un côté, l’acteur dit merci au réalisateur pour lui permettre de faire ce film parce qu’il adore le scénario et il est content d’en faire partie, et de l’autre, le réalisateur dit merci à l’acteur pour sa confiance dans le but de participer à ce beau projet. Y’a aucune manipulation ou chose compliquée. Le regard d’Hubert était envers moi extrêmement bienveillant, mais ne me disait jamais que j’étais un génie ou une merde. Un regard juste qui nous pousse à aller toujours plus loin parce que c’est un plaisir, parce que c’est un plaisir d’aller chaque jour sur le plateau. » Swann Arlaud


Au-delà du succès qu’il est en France, mais pas que, Petit Paysan est un film qui démontre par A + B ce qu’est le cinéma (bien évidemment, c’est un exemple parmi tant d’autres). Le cinéma est un art collectif, qui se partage et dont principalement les œuvres les plus réussies et agréables à regarder, car communicatives et donc émotionnellement fortes, sont celles réalisées par des artistes énergiques et qui avaient de l’envie. Envie de raconter une belle histoire, envie de donner des émotions. Swann Arlaud et Hubert Charuel nous l’on démontrer avec ce film, mais également en face à face en étant tout simplement eux-mêmes : simples et spontanés. Un dernier mot de la part du duo, qui nous fait part de leur positivisme quant à la prospérité du cinéma et plus particulièrement de la cinéphilie en province !

« Paris restera toujours une place forte. L’UGC Les Halles c’est le temple de l’art et essai alors que c’est un multiplex. Mais il n’y a pas que Paris et existe en province de vrais tissus associatifs qui font vivre le cinéma d’auteur. Aujourd’hui ce qui est compliqué pour ces films-là, c’est de sortir de Paris. Lorsqu’on parle des chiffres, que l’on dit qu’un film fonctionne au Box Office, on parle avant d’entrer dans les détails, du fameux coefficient Paris/Province. On  utilise Paris et les chiffres de la capitale avant les autres. C’est là où est la différence avec nous, pour prendre notre exemple. Le film marche en province, fait son bout de chemin dans ces petites salles de province souvent gérée par des associations et leurs nombreux bénévoles alors que souvent ce sont des villes de moins de 10.000 habitants. Les gens vont au cinéma. » Hubert Charuel et Swann Arlaud


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