CinéCinéphile

Quelques mots, sur ces œuvres que nous découvrons depuis le Québec ou la France, sur notre écran d'ordinateur ou dans notre salle de cinéma favorite.

Entretien avec Dayan D. Oualid, réalisateur de Dibbuk

cinéaste émergeant entre Folklor Horror et Mythe Social

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Grand Prix du Court-Métrage au Festival International du Film Fantastique de Gérardmer 2020, Dibbuk est une véritable immersion sociale au sein de la communauté juive du XIXe arrondissement de Paris, en plus d’être un renouveau du Folklor Horror Français, représentant une mythologie horrifique bien trop rare dans le paysage du cinéma de genre actuel, si ce n’est à l’exception de The Vigil de Keith Thomas qui débarque dans nos salles le 29 juillet prochain. Chez CinéCinéphile, nous aimons beaucoup le court-métrage de Dayan D. Oualid. C’est pourquoi nous avons voulu nous entretenir avec son réalisateur pour lui poser quelques questions sur son Dibbuk, actuellement disponible sur la plateforme de screaming Shadowz. Rencontre avec un cinéaste prometteur du cinéma de genre français.   


Gaël Delachapelle : Avec Dibbuk, vous revendiquez la volonté de faire cohabiter à la fois le portrait social et le Folklor Horror dans un seul et même film. D’où vient cette volonté de faire coexister ces deux genres dans Dibbuk ? Pouvez-nous parler plus en détails de la genèse de ce court-métrage ?

Dayan D. Oualid : J’ai effectivement eu comme volonté de proposer un film un peu hybride, dans lequel le fantastique viendra s’injecter par petites touches dans un cadre réaliste, profondément ancré dans une vérité sociale et communautaire presque documentaire. L’idée du film est née avant tout d’un réel désir, voir même d’une frustration de spectateur. Je suis passionné par le cinéma de genre et notamment par les films qui traitent de l’occulte. Il existait seulement quelques œuvres cinématographiques abordant ce rituel, mais surtout, pas de la façon dont je désirais le traiter. En 1937, le film Der Dybbuk de Michale Waszynski abordait le sujet de façon détournée. Ayant été élevé dans une famille juive religieuse, j’ai donc commencé à approfondir mes recherches, en m’appuyant sur les connaissances que je possédais des traditions et folklores. L’aspect secret de ce rituel ne s’est révélé à moi qu’après avoir commencé à développer l’idée principale du film. Peu à peu, j’ai découvert davantage d’éléments et de précisions, aussi fascinants que ciné géniques et j’ai commencé à les incorporer à l’univers de ce film.

G.D : Dans le sous-genre qu’est le film d’exorcisme, le folklore israélite, dont est issu la figure du Dibbuk, est rarement représenté (si ce n’est à l’exception de The Vigil, produit par Blumhouse, qui sort cet été) alors qu’il s’agit d’une mythologie horrifique d’une richesse folle. Selon vous, pourquoi cette mythologie est si absente du genre ? Pensez-vous que votre film, et The Vigil, peuvent renouveler cette figure du Dibbuk dans le cinéma de genre actuel ? 

D.D.O : Je pense que la mythologie n’est pas si absente du genre, même si elle est effectivement rare. Il y a eu quelques œuvres abordant le sujet auparavant. The Unborn de David S. Goyer (2009) ou encore Possédé de Ole Bornedal (2012) par exemple, mais qui ne respectait pas du tout le véritable rituel tel qu’il est décrit dans les différents ouvrages et témoignages que j’ai pu consulter. Le traitement est classique à celui d’autres films d’exorcisme, la figure habituelle du prêtre étant seulement remplacée ou accompagnée par celle d’un rabbin. Dans un autre registre, le Dibbuk fais l’objet de la séquence d’ouverture du merveilleux A Serious Man des Frères Coen (2009). Toutefois, à mon avis, le sujet est peu traité car, au sein de la communauté juive, le Dibbuk est un sujet très tabou. Il m’est arrivé de me retrouver confronté à des hommes pieux et des rabbins qui rejetaient tout échange avec moi durant les recherches, allant même pour certains jusqu’à cracher au sol lorsque j’abordais le sujet afin d’éloigner le mauvais œil. Concernant The Vigil, j’ai eu la chance de rencontrer et d’échanger avec Keith Thomas, le réalisateur, pendant le Festival International du Film Fantastique de Gérardmer. Je trouve le film très réussi. Néanmoins, je lui reprocherais un peu les mêmes choses que ses prédécesseurs abordant le sujet. Certes le contexte est original et les comédiens excellents, mais le traitement est trop classique à mon goût et effleures parfois quelques sujets qui, à mon sens, n’ont pas vraiment leurs places et ne réinvente pas grand-chose. Aussi, The Vigil parle de « Mazik », qui fait partie de la démonologie juive mais qui est très différente, dans sa forme, du Dibbuk. Toutefois, je pense que The Vigil ouvre des portes et permettra effectivement à d’autres cinéastes, et à moi-même, d’aborder le sujet avec moins d’appréhensions.

G.D : Depuis quelques années, le Folklor Horror connaît un regain de visibilité dans le cinéma de genre actuel, notamment avec The Witch de Robert Eggers (2015) et Midsommar d’Ari Aster (2019), deux auteurs émergeant d’une nouvelle vague du cinéma de genre. Ces œuvres ont-elles une influence sur votre cinéma ? Et selon vous, votre cinéma se place t-il dans la continuité de cette nouvelle vague ?

D.D.O : The Witch était une de mes inspirations principales pendant la création du film. Notamment pour la conception du démon et surtout pour sa voix, j’étais très inspiré par celle du personnage de Black Phillip dans le film The Witch. Sinon, mes inspirations pour le film étaient très variées. Mes films références étant Angel Heart d’Alan Parker (1987), La Neuvième Porte de Roman Polanski (1999), Constantine de Francis Lawrence (2005)ou encore The Witch de Robert Eggers (2015) justement, mais aussi des films comme Deux jours, une nuit des Frères Dardenne (2014) pour son traitement de personnages marginaux ou encore Ricky de François Ozon (2009) pour son traitement du fantastique dans un cadre social contemporain.


« Je voulais ancrer ce récit dans un univers réel et concret, dans un contexte social bien défini. Cette démarche est trop rare à mes yeux dans le cadre des films de genre. »

G.D : Dans votre film, le mal est représenté dans un aspect plus traditionnel, plus proche du conte, qui renvoie à des peurs ancestrales (la figure du bouc, entre autres). La manifestation du mal prend la forme d’une danse, notamment dans la gestuelle du corps du possédé ou dans le rituel du « Minyan ». Comment avez-vous réussi à aborder un sous-genre aussi coder tout en y insufflant votre identité ?

D.D.O : J’avais, de mon côté, la véritable force de l’originalité du contexte dans lequel le sujet était traité. Aussi, étant fasciné par l’ésotérisme et la mystique en général depuis ma jeunesse, j’ai pu voir beaucoup de films traitant d’exorcisme, de démons, de magie, etc. Toutefois, je voulais absolument aborder Dibbuk avec le plus de réalisme possible, en adoptant une approche documentaire pour certaines séquences. Je voulais ancrer ce récit dans un univers réel et concret, dans un contexte social bien défini. Cette démarche est trop rare à mes yeux dans le cadre des films de genre. De plus, même si cette forme démoniaque n’existe pas à proprement parler dans le judaïsme, elle est toutefois profondément présente dans l’imaginaire juif contemporain. J’ai donc misé sur cette forme hybride, à la frontière entre fiction et documentaire, pour ouvrir la porte vers l’univers méconnu que je traitais et essayer de proposer ainsi une vision originale pour un spectateur habitué aux films d’exorcisme. Concernant la forme ancestrale du démon, nous avons beaucoup travaillé sur l’idée en préparation du film ; dans un premier temps sur la théorie avec mon premier assistant, Luc Finalteri, puis sur la pratique avec la maquilleuse FX, Mélissa Landron, et le comédien qui l’incarne, Olivier Gouez (un ex-basketteur professionnel mesurant 2.20m), afin de définir à la fois son aspect physique et sa posture. Puis en second lieux, nous avons énormément travaillé la voix et la présence du démon avec la monteuse son, Claire Berriet, et le mixeur, Jean-Charles Kraimps. Nous avons dû essayer ensemble plusieurs pistes et interprétations différentes et réenregistrer la voix de nombreuses fois avant d’arriver à un résultat final satisfaisant et cohérent avec l’aspect visuel déjà créé.

G.D : Vous filmez la préparation de l’exorcisme avec une véritable minutie dans votre film. Dans les films d’exorcisme actuels, on ne voit même plus ce genre de préparation car les instruments tels que le crucifix ou l’eau bénite sont ancrés dans l’imaginaire collectif. Dans votre film, les membres de l’office utilisent des téfilines qu’ils enroulent autour de leur bras par exemple. La préparation de l’exorcisme semble devenir un rituel. Cela fait-il partie de votre volonté d’ancrer le genre dans un contexte social et religieux ?

D.D.O : Complètement. Le rituel qui précède l’exorcisme et aussi le processus en lui-même était pour moi les éléments les plus importants. J’avais une profonde envie de mettre en image ce rituel de la manière la plus précise possible. De plus, les pratiques judaïques étant peu représentées au cinéma, j’avais ce désir de prendre le temps de les filmer avec minutie. Par contre, le rituel d’exorcisme est, comme je le disais plus haut, vraiment tabou, même pour quelqu’un issue de la communauté juive.

G.D : Les chants hébreux sont très présents dans le film, ainsi que les textes de la kabbale. La bande originale composée par YOM alterne entre musique contemporaine et musique yiddish traditionnelle. Les dialogues, par ailleurs, alternent entre le français et l’hébreu. Cela insuffle au film une forte identité. Dibbuk est un film autoproduit. Selon vous, est-il possible aujourd’hui de financer un film de genre en France avec une identité aussi forte, tourné à la fois en français et en hébreu ?

D.D.O : La musique de YOM n’a pas été composée pour le film. Pendant l’écriture je travaillais avec la musique de YOM en tête et j’avais même constellé le scénario de plusieurs liens YouTube vers ses morceaux. On pourrait presque dire que j’ai composé le film sur sa musique. Une fois le scénario terminé, je l’ai contacté tout simplement via Facebook en lui présentant le projet. Il a accepté avec beaucoup de bienveillance de nous laisser utiliser sa musique. Désormais, nous collaborons sur d’autres projets sur lesquels la musique sera une composition originale. Concernant la production, je pense qu’il est tout à fait possible de produire un film avec une forte identité en France. Dibbuk est autoproduit mais c’est un choix délibéré que nous avons fait avec les membres du bureau de l’ADJCI et mes associés de la société Trois Jours de Marche. Nous avions une fenêtre de tir restreinte mais surtout une équipe de professionnels prête à travailler bénévolement et les encouragements de prestigieux prestataires tel que le groupe Transpa pour pouvoir mener à bien le projet avec un budget très réduit. Nous aurions très bien pu passer par des chemins plus traditionnels en termes de production mais cela aurait pris beaucoup plus de temps et nous avions le désir de faire ce film de façon un peu « Guérilla ».

« J’avais une profonde envie de mettre en image ce rituel de la manière la plus précise possible. De plus, les pratiques judaïques étant peu représentées au cinéma, j’avais ce désir de prendre le temps de les filmer avec minutie. »


G.D : Votre film est également très ancré dans le milieu urbain parisien. Votre personnage déambule littéralement dans les rues ou dans le métro, filmé dans une forme de solitude. Dibbuk ressemble parfois à un cri d’alerte sur la condition de la communauté juive en France, ce qui lui insuffle une dimension politique. Est-ce le cas ?

D.D.O : Durant l’écriture du court, ce n’était pas forcement une question que je me posais. Toutefois, étant actuellement en train d’écrire un projet plus conséquent traitant du même sujet, je commence à constater qu’effectivement, presque inconsciemment, l’allégorie de la solitude et du renfermement de la communauté juive est très présente dans la manière dont j’ai traité le sujet. Sans parler de dimension politique, mon envie est surtout de représenter une réalité, une vérité.

G.D : Votre film est disponible depuis quelques jours sur la plateforme de screaming Shadowz, aux côtés d’autres courts-métrages de genre, notamment Junior de Julia Ducournau. Une initiative qui met en avant les courts-métrages de nouveaux auteurs dans le cinéma de genre actuel. Comment ce partenariat s’est-il établi ? Et pensez-vous que cette initiative peut aider à la démocratisation d’un cinéma de genre français qui semble gagner en visibilité ces dernières années ?

D.D.O : J’ai eu le plaisir de rencontrer Aurélien Zimmerman et une partie de l’équipe Shadowz lors du Festival International du Film Fantastique de Gérardmer. Aurélien m’a tout de suite proposait d’intégrer Dibbuk à leur catalogue, ce que nous avons bien-sûr accepté avec joie. Je pense que Shadowz est une initiative formidable en tous points. Elle permet non seulement à certains films de genre français qui manque de visibilité de rencontrer un public, mais surtout de découvrir de véritables pépites. D’autant plus qu’il est vrai que les médias, chaînes et plateformes traditionnels sont tristement encore très frileuses quand il s’agit de film de genre français. Même s’il commence à y avoir un sentiment de changement à ce sujet. Mais nous pouvons clairement compter sur Shadowz pour prendre le relais à ce niveau-là et mettre à l’honneur le cinéma de genre avec amour et sérieux.

G.D : Dibbuk est une autoproduction en association avec la boîte Trois Jours de Marche, dont vous êtes le fondateur. Vous êtes également président de l’Association des Jeunes Cinéastes Indépendants. Pouvez-vous nous en parler plus en détails ? 

D.D.O : Je suis donc le président de l’Association Des Jeunes Cinéastes Indépendants, que nous avons fondé en 2015 avec Luc Finalteri et Guillaume Schmitt. Nous sommes désormais 11 membres du bureau de l’association et nous ne comptons pas moins de 200 membres. L’association a pour but d’aider et d’accompagner de jeunes auteurs, réalisatrices et réalisateurs, techniciens et techniciennes dans la concrétisation de leurs projets audiovisuel. Avec cette structure, nous avons réussi à atteindre une sorte de cercle vertueux autosuffisant en réalisant des projets de commandes et en réinvestissant les fonds engendrés dans le court-métrage. Grâce à cela, nous avons lancé une première résidence d’écriture entièrement financée par l’ADJCI. A l’issue de cette résidence, nous avions plusieurs projets de courts-métrages très intéressants. Nous avons alors décidé avec certains membres du bureau de l’association, de créer la société Trois Jours De Marche avec Luc Finalteri, Emilie Potet, Raphaël Pierre-Bloch et Guillaume Schmitt, afin que nous puissions avoir accès aux différents guichets qui proposais du financement pour le court-métrage, jusqu’alors inaccessibles via une structure associative.

G.D : Lorsque l’on voit le dernier plan de Dibbuk, l’univers de votre métrage semble s’étendre au-delà du cadre, tant les trente minutes de votre court-métrage introduisent un univers crédible autant dans sa dimension sociale que fantastique. Dibbuk pourrait-il être le préambule d’un long-métrage qui en serait le prolongement ? Quels sont vos projets futurs ?

D.D.O : Je ne peux malheureusement pas trop en parler pour l’instant. Mais disons que je suis en train de faire des recherches avant de réunir un Minyan.

Merci à Dayan D. Oualid pour la richesse et la générosité de ses propos. 

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