CinéCinéphile

Quelques mots, sur ces œuvres que nous découvrons depuis le Québec ou la France, sur notre écran d'ordinateur ou dans notre salle de cinéma favorite.

Assassin’s Creed, où quand Justin Kurzel passe de William Shakespeare à Ubisoft

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Synopsis : « Grâce à une technologie révolutionnaire qui libère la mémoire génétique, Callum Lynch revit les aventures de son ancêtre Aguilar, dans l’Espagne du XVe siècle.  Alors que Callum découvre qu’il est issu d’une mystérieuse société secrète, les Assassins, il va assimiler les compétences dont il aura besoin pour affronter, dans le temps présent, une autre redoutable organisation : l’Ordre des Templiers. « 

Assassin quoi ?

Jeune réalisateur de 42 ans, Justin Kurzel, a débuté sa carrière en 2005 par le biais d’un premier court-métrage titré : Blue Tongue. Le premier, qui sera également le dernier, puisqu’il enchaîna six ans plus tard par un long métrage : Les Crimes de Snowtown. Pas un immense succès, mais un projet d’envergure maîtrisé qui permit au réalisateur de devenir un cinéaste à part entière et d’embrasser une carrière de réalisateur à l’international. 2015, second passage derrière la caméra. Un nouveau projet d’ambition, un projet qui va indéniablement donner à sa jeune et fraîche carrière une tout autre tournure. Justin Kurzel présente en mai 2015 au Festival de Cannes le film Macbeth avec Michael Fassbender et Marion Cotillard. Une adaptation presque littérale, mais surtout viscérale du mastodonte écrit par William Shakespeare. Un film extrêmement long et lent, mais à la beauté plastique monstrueuse. Un travail de mise en scène qui permet une véritable introspection par eux-mêmes des personnages. Une plongée difficile, une fresque âpre, une œuvre cinématographique marquante où chaque élément qui façonne un film est utilisé afin de raconter quelque chose ou d’amplifier un élément, rationnel ou non. Une seconde réalisation brillante avant que ne sorte Assassin’s Creed. L’on passe d’un projet ambitieux et démesuré pour un jeune réalisateur, à un film de commande de la part d’Ubisoft et de la FOX. Pourquoi Assassin’s Creed et surtout qu’en attendre de la part d’un cinéaste qui nous a précédemment prouvé qu’il aimait travailler son film afin de rendre l’expérience éprouvante et viscérale pour le spectateur. Assassin’s Creed c’est sur le  papier, l’antithèse de Macbeth. Justin Kurzel ne l’a pas vu comme ça et a décidé de s’approprier le concept fondé par les studios de développement d’Ubisoft Montréal. Avant de parler du film, revenons aux fondamentaux et à ce qu’est Assassin’s Creed.

Développé dans les locaux de Ubisoft Montréal sous la co-direction de Patrice Désilets et Jade Raymond, le premier étant par ailleurs à l’origine de la licence Prince of Persia qui a déjà connue son adaptation pour le compte de la société de production Walt Disney Pictures, Assassin’s Creed est une licence d’action/aventure avec un soupçon d’infiltration et de parkour. Paru en 2007 sur PlayStation 3 et Xbox 360, avant de sortir sur PC quelques mois plus tard, Assassin’s Creed est l’élément vidéoludique majeur, la goutte d’eau de chez Ubisoft, qui a déclenché l’avènement de ce qu’on nomme : le jeu « open-world ». The Elder Scrolls et Far Cry, pour ne citer qu’eux, étaient déjà des jeux exploitant le concept du monde ouvert. Des jeux qui permettent au joueur de ne jamais se reposer, d’être toujours en synchronisation avec son avatar. Entre deux missions, entre deux captures de base, le joueur peut se promener et parcourir de vastes espaces. Le but ici est de pousser l’immersion du joueur à son paroxysme, de lui permettre de ressentir une sensation de liberté qui va être grisante. Sortir de son quotidien et vivre une aventure épique, faite de rebondissements et de moments dramatiques. Par cette immersion de plus en plus forte, le but des développeurs est de faire ressentir des émotions aux joueurs, de lui offrir une aventure digne de ce nom et mémorable. De toucher celui qui tient la manette et de lui permettre de s’attacher au personnage qu’il contrôle, de se synchroniser avec ce dernier. Grâce aux nouvelles technologies, ces expériences sont de plus en plus fortes et les émotions n’en sont que décuplées. Même si aujourd’hui encore nous ne sommes pas capables de prendre place dans un monde virtuel par le biais d’un casque VR (technique pas encore complètement au point, au point d’offrir un rendu photo réaliste), on s’y approche tout de même à grandes enjambées. La VR ne permet pas de ressentir, mais au moins de voir ce qui arrive à l’avatar, et par conséquent, au joueur. Le jeu vidéo devient un art de plus en plus fort, un art qui sur le plan de l’immersion et de la confrontation entre la réalité et le virtuel devance allègrement le cinéma. Avant d’être un jeu d’action/aventure, Assassin’s Creed est avant tout une expérience qui cherche faire la corrélation entre le réel et le virtuel. La confrontation entre deux timelines bien distinctes. Desmond Miles (protagoniste des jeux Assassin’s Creed, Assassin’s Creed II, Révélation, Brotherhood et Assassin’s Creed III) utilise une machine pour (re)vivre les évènements vécu par un de ses ancêtres. On est très clairement face à la métaphore de ce qu’est et souhaite devenir le jeu vidéo et permettre au joueur de ne plus être qu’un simple joueur, mais de devenir acteur. On en vient à se demander : « En quoi le réel peut avoir une influence sur le virtuel et inversement ? »

Le film Assassin’s Creed conte l’histoire de Callum Lynch, qui suite à une condamnation à mort par injection létale, a été déclaré mort, mais récupéré par une société répondant au nom d’Abstergo Industries. Grâce à une technologie de pointe développée dans leurs locaux, les dirigeants d’Abstergo souhaitent se servir de Callum Lynch afin d’explorer son passé. Remonter son arbre généalogique jusqu’en 1492 et à un de ses descendants nommé Aguillar de Nehra, dans le but de trouver un artefact au pouvoir insoupçonné. Nouveau personnage, nouvelle époque. Ubisoft, également producteur du film, cherchent avec ce film non pas à faire des recettes extravagantes, mais à conquérir de nouveaux joueurs qui vont connaître la licence par le biais du film. Business, business, dans le but de faire grandir cette licence encore et toujours. Tout est fait pour que la licence Assassin’s Creed pérennise dans le temps et que son univers grandisse par tous les moyens possibles. Jeux vidéos, romans, bandes dessinées, mais également le cinéma. Justin Kurzel et son équipe reprennent le concept sur lequel étaient fondés les jeux vidéo, mais le font évoluer dans le but de clarifier le nouvel axe qui va servir de double problématique centrale au récit. Bien que parsemé d’incohérences et de facilités (accablantes pour certaines), le scénario – écrit par Michael Lesslie, Adam Cooper et Bill Collage – s’avère très intéressant et surtout bien construit autour des questions d’enfermement et du lien pouvant exister entre le virtuel et la réalité. D’un côté l’enfermement d’un homme afin de pouvoir l’exploiter, exploiter son passé. De l’autre, l’homme qui va être contrôlé par une machine dans le but de lui faire vivre des évènements passés, ceux qu’a pu vivre, hypothétiquement, un être ayant vécu il y a des décennies de ça. La confrontation entre l’ordre des Assassins et les Templiers n’est qu’un prétexte afin de créer des séquences d’action, inculquer au film un rythme soutenu, et surtout, nourrir en sous-texte cette double problématique.

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1492, Aguilar de Nehra, élément important de l’Ordre des Assassins pour trouver la Pomme d’Eden


Un scénario Ubisoft, mais une expérimentation technique audacieuse signée Justin Kurzel

Sans forcément apporter de réponses concrètes aux questions posées (ce qui n’est pas plus mal), le scénario s’émancipe et remet à jour certains éléments de la licence afin de clarifier ce nouvel axe et ne pas être qu’une simple adaptation. Ici, Abstergo Industries n’est plus décrite dans les grandes lignes comme une entreprise pharmaceutique, mais bien comme une simple société dont le but est d’exterminer la violence dans le monde. Sous-entendu : « on veut faire régner la paix, nous sommes des gentils, mais pour ce faire on va devoir être méchants, nous allons faire régner une dictature sans nom » (Ron Howard si tu nous lis). Abstergo est fondamentalement une prison, un laboratoire dans lequel sont enfermés et exploités des êtres humains. Une prison haute-technologie. L’Animus, élément créé dans les locaux d’Abstergo, permettant à un être de vivre la vie d’un de ses ancêtres, n’est plus celui qu’il était dans les jeux. Transformé en un immense bras articulé, l’Animus prend littéralement possession du corps de l’homme pour lui faire ressentir tous les coups et chocs vécus par son ancêtre. Un élément mécanique, un lien parfait entre l’enfermement, l’emprisonnement que représente dorénavant la société Abstergo et ce quoi vers tend le monde du jeu vidéo. La corrélation avec le jeu vidéo se fait dans cette nouvelle et hypothétique technologie permettant au corps de subir des coups qu’il ne reçoit qu’indirectement. Les coups reçus dans un univers aujourd’hui virtuel vont être perçu et également donnés par cette machine à l’homme qui va revivre les évènements. À cela, le scénario va logiquement ajouter le traitement d’une notion, bien que ce traitement soit extrêmement léger, qui n’est autre que celui du : libre arbitre. Par ailleurs, à l’instar de Desmond Miles, Callum Lynch est enlevé, sauf que ce dernier a été laissé pour mort, suite à une condamnation à mort par injection létale. Tué par une machine suite à une condamnation faite contre son grès (même si logique vis-à-vis de son passé ancestral). Un détail qui va façonner la caractérisation du protagoniste que l’on peut voir comme fou, psychotique et dérangé. Alors que Callum Lynch s’avère être un personnage intéressant à suivre, par le biais de cette folie sous-entendue et pouvant être exploité de diverse manière (à force d’entrer dans l’Animus, à cause de son passé…), les autres personnages, sans exception, sont littéralement inexistants. Peu attachants, voire pas du tout. Inexpressifs pour beaucoup et complètement invisibles aux yeux du spectateur. Pourquoi agissent-ils de la sorte, qui sont-ils… parler et regarder une plante verte pourrait s’avérer être plus intéressant. Cependant, grâce au concept de base sur lequel repose le film (lien entre le présent/réalité et le passé/virtuel) et les problématiques qu’il tire de ce concept, le scénario arrive à être suffisamment intéressant et consistant pour faire vivre le film indépendamment de ses personnages. Une belle prouesse, pas gagnée d’avance.

Si Macbeth était, et est encore, un film aussi viscéral et brutal, c’était bien grâce au travail technique réalisé par les frères Kurzel, Justin à la mise en scène et Jed à la composition musicale, ainsi qu’Adam Arkapaw en tant que directeur de la photographie. Tous trois collaborent dans le but de faire de l’œuvre cinématographique une expérience à part, une expérience qui ne serait-ce que par sa technique, puisse raconter quelque chose. Pour Macbeth, le visuel était en adéquation avec la psychologie du roi Macbeth, personnage traumatique et psychologiquement torturé, proche de sombrer dans les flammes de l’enfer. Dans le cas du film Assassin’s Creed, le travail sur le son, la photographie et la réalisation, est en lien direct avec ce que représente le projet. À savoir, une adaptation et faire une expérience de cinéma qui va aller à l’encontre de ce qu’est un jeu vidéo et plus particulièrement un FPS (first person shooter, ndlr) ou TPS (third person shooter, ndlr) dans le cas d’Assassin’s Creed. Une expérience qui va donc être viscérale et pour le coup non conventionnel et à l’encontre de ce qu’était Macbeth. Deux façons de gérer la lumière et deux façons de cadrer pour deux mondes qui s’opposent et vont venir se fondre l’un en l’autre. Les plans les plus beaux seront ceux où viendront se confondre le présent et le passé. Plans les plus beaux, les plus stables et les plus intéressants à visualiser et analyser.

D’un côté le présent avec sa colorimétrie froide, ces personnages qui sont dans l’ombre avec une volonté de faire du contre jour même si cela semble improbable et réalisation qui mise sur des plans stables. Peu de mouvements, simplement quelques légers travellings et panoramiques, mais stables quoi qu’il en soit. De l’autre le passé, avec sa colorimétrie chaude presque criarde, ces personnages qui se cachent sous leurs capuches d’assassins et une réalisation mouvementée. Les plans sont très serrés, le mouvement est créé par les éléments de la diégèse (personnages…) et la caméra elle-même portée à l’épaule. Justin Kurzel et Adam Arkapaw, illustrent le virtuel en faisant une antithèse à un jeu vidéo. Jeu vidéo qui n’est – majoritairement – qu’un plan-séquence, développé afin que l’action soit le plus lisible et agréable possible à suivre. Ici l’action est sur-découpée, les cadres sont serrés et la lumière criarde. À cela on ajoute également l’usage d’un montage parallèle entre le présent et le passé qui ajoute de nouveaux plans à l’action. Ce qui donne l’impression d’avoir une action brouillonne, presque illisible et incompréhensible. Qu’une impression bien évidemment. Cette lumière criarde qui se fait ressentir par l’usage de la surexposition. Choix assumé dans la gestion de la lumière, permettant de faire le lien entre le présent et le passé (écrans de lumière, spots… qui ramènent à la colorimétrie du passe). Des choix esthétiques assumés, qui racontent plus qu’ils n’embellissent l’œuvre. Le tout est brutal, violent et rend l’œuvre viscérale du point de vue plastique. On est loin de l’adaptation sans recherche ni intérêts. Loin des conventions imposées par le cinéma hollywoodien de plus en plus aseptisé, qui cherche à faire du beau pour du beau, mais on est paradoxalement également loin de la beauté plastique qu’on aurait pu et aimer voir. De par ces choix dans la direction artistique, Assassin’s Creed et Macbeth ont en commun d’avoir une narration plastique impeccable et suffisante. Certains dialogues redondants et ridicules, qui décrédibilisent l’action (une fois ça va, deux fois ça va, la troisième fois…c’est bon on a compris qu’ils cherchaient une pomme merci !)et les personnages auraient mérités d’être coupés, laissant place à la bande originale et aux images. On notera également l’excellente idée de tourner le film en anglais, mais également en espagnol, permettant une différenciation plus poussé entre les deux époques, entre les deux univers.

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2016, Callum Lynch en apprend plus sur son passé et sur lui-même, devenant un assassin


En Conclusion :

Critiqué encore et encore depuis sa sortie dans les cinémas français – pas toujours à tort – Assassin’s Creed n’est pas pour autant la purge de l’année. Bien au contraire. Derrière son casting complètement à la ramasse, malgré un Michael Fassbender impeccable et un scénario tout droit sorti des murs de chez Ubisoft qui ne souhaite qu’une chose : étendre aisément l’univers Assassin’s Creed sans prendre le temps de bien caractériser les personnages, d’effacer certaines incohérences et facilités outrancières, et de développer à bon escient certaines thématiques, réside des questionnements et une expérimentation technique intéressante et audacieuse à bien des niveaux. A l’instar de ce qu’il avait fait avec Macbeth, Justin Kurzel s’émancipe des codes esthétiques instaurés par le cinéma hollywoodien (faire du beau pour du beau à tout prix) et réalise un film d’action expérimental où cette volonté d’expérimentation est au service du propos. Au service du questionnement sur l’asservissement (entre autres au virtuel), sur l’enfermement (gonflé par le travail sur le lumière et une surexposition brutale qui oppresse les personnages et prouve cette envie de ne pas forcément faire du beau par du beau) et sur le Libre Arbitre. A cela on ajoutera une bande originale de qualité, qui souligne avec justesse et amplifie juste ce qu’il faut les moments d’action, tout en réussissant à se faire oublier lorsque c’est nécessaire. Une œuvre viscérale et spectaculaire qui va en décontenancer plus d’un, mais qui s’avère bien plus réfléchie et intéressante qu’on ne pourrait le penser au premier abord.

PS : La bande originale composée par Jed Kurzel et éditée par Universal Music n’est pas complètement similaire à celle que vous entendrez dans le film. Pour amplifier cet aspect brutal et surdécoupé des séquences d’action, les compositions ont été mixées et travaillées dans ce sens. Une B.O. donc bien plus agréable à écouter en dehors du visionnage qu’on ne pourrait le penser en sortant de la projection.

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