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Quelques mots, sur ces œuvres que nous découvrons depuis le Québec ou la France, sur notre écran d'ordinateur ou dans notre salle de cinéma favorite.

A Quiet Place (Sans un Bruit) réalisé par John Krasinski [Sortie de Séance Cinéma]


Synopsis : « Une famille tente de survivre sous la menace de mystérieuses créatures qui attaquent au moindre bruit. S’ils vous entendent, il est déjà trop tard. »

Les lumières de la salle de cinéma s’allument, tu te repositionnes sur ton siège pour avoir fière allure parce que la position “je m’installe comme à la maison” ce n’est pas trop ça, et là, ton ami(e) se retourne vers toi et te pose la question fatidique…

Acteur essentiellement reconnu pour son rôle dans la série The Office, le nom John Krasinski a cependant du mal à dépasser l’Océan Atlantique. En France et en Europe plus globalement, son nom n’a pas la portée qu’il peut avoir outre-Atlantique. La faute à des séries et des films qui ne s’exportent pas. Néanmoins, vous avez déjà vu John Krasinski au cinéma. Jarhead, Jeux de Dupes, Promised Land, Welcome Back, 13 Hours ou encore Detroit en 2017. Mais c’est bien en 2018 que le nom de John Kravinski va avoir droit à la portée internationale méritée. S’il est la tête de la nouvelle série Jack Ryan pour la société de production Amazon, c’est bel et bien le film A Quiet Place dont il est réalisateur, scénariste, producteur associé et un des rôles principaux qui va faire parler de lui. Après les comédies dramatiques Briefs Interviews with Hideous Men et The Hollars, l’acteur et réalisateur s’attaque au cinéma d’horreur pour son troisième passage derrière la caméra (dans le cadre de la réalisation d’un long-métrage). Le cinéma d’horreur est un genre particulier et difficile, notamment aux États-Unis. Démocratisé depuis plusieurs années, le cinéma d’horreur moderne recèle d’œuvres toutes plus inconsistantes et inintéressantes les unes que les autres. Il suffit de voir The Strangers : Prey at Night (lire notre critique fortement salée), suite du très bon et conceptuel The Strangers pour saisir que le cinéma d’horreur est aujourd’hui un business à part entière. Mis à part Jason Blum par le prisme de sa société Blumhouse Productions qui a les fonds nécessaires, peu ont le courage de prendre des risques en produisant des films à forts concepts. Et il y a A Quiet Place.

is not just an horror movie, it’s an upsetting movie about the family. Stressful, creepy and played by a insane cast. »


Jouissant d’une forte renommée, lui et sa compagne Emily Blunt, on imagine facilement le cinéaste devoir mettre le nom de sa compagne, ainsi que le sien, en tête d’affiche afin de convaincre plus facilement une société de production comme la Paramount Pictures afin de financer le projet. N’en demeure pas moins qu’Emily Blunt est une actrice extrêmement talentueuse et John Krasinski, un metteur en scène suffisamment intelligent pour user avec soin du lien affectif réciproque existant entre les deux. Vendu comme un film d’épouvante terrifiant lambda par le biais d’une campagne marketing assez intense, mais sans trop en dévoiler sur le film, A Quiet Place attire et attirera les spectateurs à la recherche du grand frisson. Mais comprendront-ils qu’ils doivent devant ce film…, comprendront-ils le message : STFU ? S’ils ne le comprendront peut-être pas immédiatement, la séquence de contextualisation le leur fera comprendre. Pas de gestes brusques, pas un bruit ni un souffle, simplement des personnages qui évoluent pieds nus et sur la pointe des pieds afin de n’émettre aucun son. A Quiet Place est un film qui repose sur un unique et ultra fort concept, notamment dans le cinéma d’horreur : jouer avec le son. Alors que le cinéma d’horreur moderne jure avant tout par la musique d’ambiance afin d’instaurer un climat anxiogène dans lequel se laissera guider le spectateur avant que des bruits stridents ne le fasse sursauter par la force des choses, John Krasinski décide de prendre les choses à revers. A Quiet Place dispose d’une bande originale (signée Marco Beltrami et de qualité), mais cette dernière ne vient pas étouffer l’image et le mixage sonore. Une bande sonore qui vient complémenter les bruitages, eux, bel et bien au premier plan. Aucun son, aucune musique durant de longues minutes. Puis le moindre bruit, aussi anodin soit-il, vous fera sursauter. La force du long-métrage réside avant tout et surtout dans son concept que va exploiter le scénariste (John Krasinski pour lequel c’est indéniablement son projet) jusqu’à son paroxysme. Le son est l’élément premier, tant au sein même de la diégèse, que de manière extradiégétique.

Incroyable et plaisant de voir que chaque élément qui constitue le film, a été pensé en fonction de ce concept de départ. Fait notamment observable au travers de cette séquence de contextualisation parfaitement orchestrée. De simples plans fixes, quelques travellings latéraux et panoramiques. Par sa mise en scène et cette réalisation des plus sobres, John Krasinski dévoile et développe le concept sur lequel reposera le film sans même à avoir à utiliser le dialogue. Des plans sur les pieds, une mère attentionnée qui tente de ne pas faire le moindre bruit, un père protecteur qui veille en arrière-plan ou porte un de ses enfants, l’utilisation du langage des signes et une menace aussi imprévisible que redoutable qui plane sur chacun des personnages. John Krasinski suit à la lettre les règles de l’écriture d’un scénario afin de poser les bases et plonger le plus rapidement possible son spectateur au cœur de l’intrigue. L’intrigue est ici, sommaire, mais le film haletant, stressant et bouleversant grâce à des personnages remarquablement incarnés. Si Emily Blunt et John Krasinski sont fidèles à eux-mêmes, très bons, c’est ici Millicent Simmonds qui nous prouve toute l’étendue de son talent. Déjà remarquée dans le film réalisé par Todd Haynes, Wonderstruck, elle développe sa palette émotionnelle au travers d’un personnage traumatisé et sur lequel pèse le poids de son handicap. Un rôle qui doit piocher dans les véritables questionnements de l’actrice sourde et muette de naissance. Charismatique, touchante, et fait preuve d’une intensité dans un jeu tout en introspection. Une actrice remarquable dans la peau d’un personnage écrit avec justesse et au handicap habilement exploité tant sur le plan narratif que technique.

Si A Quiet Place est un film terrifiant et haletant grâce à une mise en scène redoutable (qui ne fait pas pour autant dans l’extravagance et n’abuse pas de jump-scares), c’est également un drame bouleversant. Joliment écrit, John Krasinski ne met pas en scène cinq personnages, mais une famille. Ne pas laisser un personnage évoluer seul de son côté, mais bel et bien chercher à lier les personnages les uns aux autres. Créer un lien fort, et ce, même s’ils n’évoluent pas dans un même endroit ni ne peuvent communiquer par la parole. Quelques redoutables idées de mise en scène, ainsi qu’un montage qui va jongler avec fluidité et réactivité entre les différents points de vue afin de ne jamais perdre dans la lisibilité de l’action ou en intensité. Aucun plan n’est de trop et chacun a une certaine utilité dans l’avancée ou le développement émotionnel de l’action. Une concession dans le nombre de plans, une précision dans le choix des plans et d’une justesse absolument remarquable dans le découpage. Tant d’éléments qui permettent au film A Quiet Place de ne pas être un film d’horreur lambda, mais bel et bien un film d’auteur, un grand film où chaque élément a été pensé en amont par un artiste en la personne de John Kravinski. Alors oui, le film regorge cependant d’incohérences scénaristiques. Raccourcis et facilités qui pour la majorité sont employées afin de fluidifier et donner une certaine logique dans l’avancée de l’action. Des défauts oui, mais qui n’entachent en rien l’expérience viscérale avant tout visuelle et sonore, qu’est le film A Quiet Place. Indéniablement déjà un des grands moments de l’année cinéma 2018.


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